A l'occasion de la sortie aujourd'hui du disque « Aziz Sahmaoui & University of Gnawa » (Belda Diffusion), l'artiste était présent à Alger, la semaine dernière, pour une campagne de promotion. Il a répondu à nos questions, en évoquant ses thématiques et sa musique. Liberté : Pourquoi rendez-vous hommage au Tagnaouite dans votre album, « Aziz Sahmaoui & University of Gnawa » ? Aziz Sahmaoui : Rendre hommage au Tagnaouite parce que c'est une musique que j'aime beaucoup et parce qu'elle est en train d'évoluer. Au-delà de la cérémonie, de la magie, de l'invisible, le Tagnaouite, maintenant, a beaucoup évolué parce que de grands artistes de par le monde s'y sont intéressés. Et pourquoi s'y sont-ils intéressés ? Pourquoi cette magie ? Pourquoi ça dure ? Pourquoi on écoute un morceau mille fois, deux mille fois, trois mille fois et on ne s'en lasse pas ? Cela fait des siècles que cette musique existe, et ça continue ! Les jeunes s'y intéressent, ce qui amplifie son écho, puis il y a les festivals, la presse, la télévision, enfin les médias qui saluent cette culture. Donc cet hommage au tagnaouite est aussi une manière de dire que cette musique est en train d'envahir le monde, et que dans quelques années encore, il y aura peut être d'autres artistes qui vont porter cette musique à un autre niveau. Mais Tagnaouite pur et dur existe, continue et n'a pas besoin d'une batterie ou d'un synthétiseur pour exister. Par cet album, on salue également tout le travail qui se fait dans le domaine de la fusion, tous ces mélanges qui rendent service à la musique. L'intitulé de l'album laisse penser qu'il y a eu un travail de groupe. Etait-ce le cas ? Oui, justement, il y a eu un travail en groupe. J'ai une petite anecdote sur ce point. J'ai un ami sur Facebook qui m'a dit Aziz, j'ai envie de m'inscrire à University of Gnawa, où est ce qu'elle se trouve. Je pensais qu'il plaisantait alors j'ai joué le jeu en disant qu'elle se trouve partout dans le monde. Lorsqu'il m'a demandé où est-ce qu'elle se trouvait en Algérie, je lui ai dit à Belcourt (Alger). Le plus étonnant est que ce garçon est parti à Belcourt et qu'il m'a contacté par la suite pour me dire qu'il y était allé et qu'il n'a rien trouvé. C'est là que j'ai compris que c'était sérieux, je lui ai alors dit que cette université était universelle. En tout cas, le terme « University » est aussi ironique ; il y a comme un jeu avec ce mot. Il y a le travail et la science des musiciens d'University of Gnawa, et puis il y a cette couleur, cette force, ce groove que les musiciens ramènent avec eux. Il y a aussi cette idée de mélange entre les musiciens (du Sénégal, du Mali, du Maroc et de l'Algérie). Et puis c'est ce mélange, ces phrases différentes qui se complètent et qui donnent un ensemble que j'ai appelé University of Gnawa. Dans votre opus de 13 titres, il y a Black Market, une reprise de Joe Zawinul... C'est pour rendre hommage à Joe Zawinul. Avec lui, j'ai vécu une sorte de voyage, une expérience. J'ai beaucoup appris avec Joe, et j'ai voulu lui rendre hommage avec « Black Market » qui est à la base un morceau instrumental. J'ai inclus le goumbri et le ngoni pour faire le thème du début. Je voulais jouer ce titre au ngoni, un instrument traditionnel qui a embelli le morceau, car je souhaitais faire une musique qui soit un lien entre le Maghreb, l'Afrique et l'Occident ; quelque chose entre le jazz et le tagnaouite. Quand on voyage à travers l'Europe et qu'on balance cette mélodie, il y a un réel engouement. Les gens sont enchantés et se demandent d'où vient le ngoni. Les Zawinul, les « frères » sont enchantés par cette reprise. J'ai auparavant fait part à Joe de mon ambition de faire des reprises et il était enchanté. Il a même écouté les maquettes. Quelle philosophie ! Quel souvenir ! Il y a aussi des reprises dans l'album : « Mimouna », « Sawayé », « Foufou Danba ». Comment vous avez travaillé sur ces morceaux ? Pour « Mimouna » et « Foufou Demba », j'ai travaillé juste avec le goumbri et la voix. Par la suite, je me suis amusé à rajouter le petit goumbri, le ngoni, qui a doublé le goumbri. Pour « Sawayé », j'ai voulu orchestrer le morceau, avec guitare, basse et kora. La kora est un instrument extraordinaire qui capte l'attention, et qui est jouée par Cheikh Diallo, ami du bassiste Alune Wade –qui chante super bien. Il y a tout un travail de groupe d'échange, qui donne cette couleur au morceau. Et « Alf Hila » qui est quelque part un morceau chaâbi algérien. Pourquoi le chaâbi ? Parce que je fais partie de cette école. Pour moi c'est du chaâbi, c'est du malhoun, et donc je suis entre les deux. C'est cette position que j'ai choisi pour rendre hommage à cette musique que j'aime. J'aime la mélodie, le thème, la façon de chanter, etc. Quelle beauté ! C'est aussi une manière pour moi d'afficher mon amour pour l'Algérie, pour le chaâbi, pour la musique algérienne, pour ma culture. En parlant de musique algérienne, le morceau « Kahina » se rapproche du Raï... C'est vrai, l'introduction de « Kahina » est plutôt Raï, Raï trab, puis elle va vers la musique Hassani. Je suis aussi influencé par ça, toute cette beauté, toute cette richesse, toute cette nature, toute cette couleur et toute cette magie. Vos thématiques rendent compte de certaines injustices qui se passent dans notre monde et dans nos sociétés. Vous considérez-vous comme un artiste engagé ? Engagé ! Qu'est ce que ca veut dire engagé ? Voir une quelconque injustice et en rendre compte tout simplement, voilà ce que je fais. Nous sommes victimes des fois, que ce soit par le biais de la nature, d'un système ou autre chose. Lorsque tu vois une petite fille ou un petit garçon de cinq ans à peine porter des briques, forcément tu es interpellé. Comment peut-on ne pas parler de ce genre de choses ? Ça déchire le cœur. Comment un enfant à un âge où il doit courir, jouer et dépenser son énergie, se retrouve exploité ? Moi ça me parle ce genre de choses, et je ne pense qu'il y ait quelqu'un dans le monde à qui ça ne parle pas. [Entretien réalisé par Sara Kharfi]