Le président de l'Assemblée constituante tunisienne, Mustapha Ben Jaâfar a annoncé une réunion plénière exceptionnelle de l'Assemblée demain pour évoquer l'extradition controversée de l'ex-Premier ministre libyen vers Tripoli qui a mis le feu entre les palais Kasbah et Carthage, les sièges respectifs du gouvernement et de la présidence. La séance d'arbitrage se déroulera en présence des parties concernées, c'est-à-dire le gouvernement et la présidence, a assuré Ben Jaâfar qui n'a néanmoins annoncé que la seule présence de Hamadi Jebali, le chef du gouvernement par qui le scandale a éclaté. Il est peu probable que le président Marzouki fasse le déplacement au motif qu'il a été déjà trop humilié dans cette affaire pour se donner en spectacle. Le président Moncef Marzouki, qui s'était déclaré opposé à l'extradition de Baghdadi Mahmoudi, dernier Premier ministre de Kadhafi, en tout cas avant les prochaines élections législatives libyennes, n'avait pas signé le décret d'extradition. Détenu depuis neuf mois en Tunisie, Mahmoudi a été extradé cette journée en catimini sur décision du chef du gouvernement, l'islamiste Hamadi Jebali. Vivement contestée par plusieurs organisations locales et internationales de défense des droits de l'homme, pour qui cette extradition viole les principes de droit international et humanitaire, elle a aussitôt provoqué une crise au sommet de l'Etat tunisien. Le parti islamiste Ennahda, qui domine l'Assemblée et le gouvernement, s'est défendu de son bon droit alors que Marzouki, issu du Congrès pour la République (gauche nationaliste) se plaint de n'en avoir pas été informé. Le parti de gauche Ettakatol, dirigé Ben Jaâfar, président de l'Assemblée constituante, n'a pas pris de position dans cette guéguerre entre deux membres de la coalition au pouvoir dans le pays. Ennahda de Ghannouchi dirige la Tunisie post-Ben Ali avec la composition du Congrès pour la République et Ettakatol. Cette crise au sommet est manifestement l'expression de l'absence de coordination dans l'attelage de transition. Entre Marzouki, Jebali et Ben Jaâfar, ce fut en réalité la guerre froide dès le début : chacun cherchant à faire trébucher l'autre et l'affaiblir. Au fur et à mesure que le pays se rapproche des prochaines élections municipales, dont la période a été fixée par Ennahda unilatéralement, chaque camp rue au plus fort dans les brancards. D'où l'estocade du gouvernement qui a frappé la présidence là où cela fait le plus mal : une extradition, dans la compétence de Marzouki, avec l'humiliation en plus. La livraison de Mahmoudi aux autorités provisoires libyennes, contre l'avis du président de la République et sans l'en avoir informé au préalable, est en fait la goutte qui a fait déborder le vase dans le bras de fer entamé depuis quelques mois déjà entre la Kasbah et Carthage. Le courant n'est jamais passé entre Hamadi Jebali et Moncef Marzouki. Au lendemain de leur alliance, à Tunis on parlait déjà de mariage entre la carpe et le lapin. Ennahda son gouvernement avec un nombre record de membres et de proches conseillers, quelques jours plus tard, Marzouki annonce dans le Journal officiel son propre gouvernement parallèle avec autant de conseillers et ministres-conseillers que celui du gouvernement Jebali qui travaille sans consulter ce cabinet-bis. Marzouki est loin d'être idiot, comme l'aurait qualifié Rached Ghannouchi, le père d'Ennahda. Malgré le scandale et malgré l'appel au calme d'Ennahda, il n'est pas dit que Marzouki et Jebali vont maintenant fumer le calumet de la paix. L'enjeu est des plus gros : le pouvoir après la constituante et qui se dessinera avec les municipales. D. B