“Libérer l'histoire", est-ce un mot d'ordre, un idéal utopique, un programme de travail ou tout à la fois ? “Libérer l'histoire", mais de qui, de quoi et pourquoi ? Telles sont les grandes questions que s'est posées, hier, Paul Siblot, professeur émérite en sciences du langage de l'université de Montpellier, lors de la rencontre internationale consacrée à “l'Algérie, 50 ans après : libérer l'histoire", organisée à la Bibliothèque nationale d'El-Hamma. L'ami de l'Algérie, qui a passé une partie de sa vie parmi nous et dont le père, l'instituteur Charles Siblot, né à Béni Haoua, avait été l'auteur, en 1956, d'une pétition appelant à l'ouverture des négociations avec les nationalistes algériens, a estimé que “libérer l'histoire est une méthode possible". S'appuyant sur les travaux qu'il a menés, sur ce thème, au sein du Centre français de la recherche scientifique (CNRS), il a révélé que la conclusion à laquelle il est parvenu est “la nécessité de parvenir à faire travailler ensemble des historiens des deux pays, mais pas seulement, car c'est l'affaire aussi des sociétés". M. Siblot a également rappelé que les rapports franco-allemands avaient été à la source de 3 guerres et “pourtant, maintenant, sur le plan de l'histoire, les historiens des deux pays travaillent ensemble, à partir de leur propre vue, de leur propre position". Et même si ce n'est pas “la lune de miel" entre les deux parties, le chercheur français reconnaîtra qu'un “travail de fond" a été réalisé. Aussi, plaidera-t-il pour un travail similaire entre les Algériens et les Français, pour “arriver à ce qu'il y ait vraiment un dialogue constructif de l'histoire" et pour “comprendre le point de vue de l'autre". Seulement, l'intervenant a conditionné cela, au moins, par deux règles à respecter, à savoir “la liberté de pensée" et la prise en compte du “roman national" de chaque pays. Dans ce cadre, il a précisé que l'approche de la vérité historique exige nécessairement “une pluralité des points de vue". “C'est à partir de là que le travail des historiens commence et c'est à ce titre que nous pourrons, entre autres, maîtriser la complexité", a déclaré Paul Siblot. Plus loin, ce dernier a ajouté : “Les enjeux de cette histoire commune dépasse le cas franco-algérien." La rencontre de la BN, qui durera trois jours, est organisée par le Centre national de recherches préhistoriques et historiques (CNRPH), en partenariat avec le quotidien La Tribune. D'après les organisateurs, cette manifestation, réunissant près d'une soixantaine de chercheurs et d'universitaires, algériens et étrangers, sera l'occasion de “réaffirmer et insister sur l'exemplarité et la très haute légitimité de notre mouvement de libération nationale". Elle permettra surtout d'approcher “l'expérience algérienne de la décolonisation qui, de plus en plus, montre ses dimensions universelles et sa singularité". Mais comme le soutiendra Nadjet Khedda, membre du comité scientifique de la rencontre, celle-ci vise avant tout à créer “un climat de confiance" et “un sentiment d'ouverture", afin d'initier un “débat d'idées". “Cette rencontre est une ouverture. Elle sera suivie par la publication des Actes de cette rencontre, de même que par des colloques pointus et d'autres rencontres", dans les mois qui suivent, a-t-elle souligné. Dans leurs interventions, les orateurs se sont penchés sur les “illusions françaises dans la guerre d'Algérie" et les questions liées à l'Etat-nation algérien, à l'historiographie et à la modernité. Ainsi, de l'avis d'Elsenhans Hartmut, politologue et économiste allemand, les élites françaises, contrairement aux autres élites européennes, “n'ont jamais eu le sentiment de la décadence, de la chute de la France". Ce qui rend “le travail de mémoire extrêmement difficile", parce que “les Français ne croient pas que c'est eux qui ont fait tous les crimes que les Algériens leur reprochent". Cela s'appelle la déformation de l'histoire écrite par le colonisateur.