Après sa visite à Alger, le chef de la diplomatie du royaume de Belgique a accepté de faire le point avec nous sur les relations avec l'Algérie et les raisons de la léthargie dans les rapports entre les deux pays ces dernières années. Liberté : Monsieur le ministre, vous venez d'effectuer un saut à Alger où vous avez rencontré votre homologue algérien ainsi que le président de la République. Cela fait maintenant plus d'une décennie qu'un chef de la diplomatie belge ne s'est rendu en Algérie. Comment interpréter cette longue absence et ce soudain regain d'intérêt pour ce pays ? Didier Reynders : Cette absence belge n'était pas intentionnelle, mais liée à des concours malheureux de circonstances puisque mon prédécesseur, Yves Leterme, dut annuler in extremis une visite officielle quand il devint Premier ministre. Il faut rappeler aussi la Mission économique d'octobre 2004 avec SAR le prince Philippe et le ministre Marc Verwilghen. Quelles sont les attentes de la Belgique ? Que les relations bilatérales soient redynamisées tous azimuts : avec des consultations politiques, des relations commerciales approfondies, le règlement rapide des quelques questions consulaires et, surtout, la conclusion de partenariats économiques signifiants. Quels sont les domaines qui, selon vous, devraient être dynamisés dans le cadre des relations bilatérales ? Par priorité, je dirais les transports, l'énergie tant traditionnelle que renouvelable, et le secteur médical, tant au niveau de la conception que de la construction et de la gestion de centres hospitaliers. Hors hydrocarbures, vous avez cité le domaine de la santé et celui des transports, comment voyez-vous la dynamisation de ces relations dans ces secteurs ? Par des missions sectorielles, à mener sans délai ; les instances publiques sont là pour organiser des contacts et encadrer, le cas échéant, mais c'est ensuite aux opérateurs économiques à négocier des contrats. À nouveau, pour moi, l'accent doit être mis sur les partenariats. Dans le domaine de l'énergie, un “accord historique" avait été conclu entre les deux pays. Pourquoi la Belgique a-t-elle abandonné, en 2006, le niveau de sa coopération énergétique avec l'Algérie ? Votre pays serait-il susceptible de nouer de nouveaux accords gaziers avec Alger ou d'autres accords touchant par exemple aux énergies renouvelables ? 2006 a marqué la fin d'un contrat gazier signé pour une période d'une vingtaine d'années, mais les approvisionnements algériens, hydrocarbures y compris, n'ont certainement pas été coupés et Zeebrugge reste plus que jamais une porte naturelle pour le gaz algérien en Europe. Des formes de coopération sont envisageables dans le secteur des énergies douces, mais aussi dans d'autres secteurs “classiques" : par exemple l'approvisionnement du hub gazier de Zeebrugge avec du GNL neutre en carbone, des synergies entre les parastataux algériens et la pétrochimie d'Anvers, entre beaucoup d'autres. Dans le cadre de l'ouverture du marché de l'énergie en Europe, il est désormais possible de faire participer des firmes étrangères dans le processus de distribution et de commercialisation de l'énergie. Peut-on espérer voir la compagnie Sonatrach, ou l'une de ses filiales, intervenir sur le marché énergétique intérieur belge ? Evidemment. Et quand je vois les performances actuelles de l'économie algérienne, en général, et de Sonatrach, en particulier, je n'ai aucun doute que cette dernière a pour vocation de rapidement accroître son empreinte à l'étranger, et bien au-delà des seuls pays voisins. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de dire à mes interlocuteurs algériens ma conviction qu'il existe des complémentarités et donc, des opportunités exceptionnelles pour des partenariats entre entreprises algériennes et belges, non seulement sur le marché algérien, mais aussi sur de nombreux marchés tiers, en Afrique, en Europe et, pourquoi pas, ailleurs aussi. La Belgique a une longue tradition en matière de formation nucléaire en possédant le centre de Mol, l'une des plus anciennes institutions de recherche nucléaire de la planète. La Belgique ne pourrait-elle pas densifier ses relations avec l'Algérie dans ce créneau particulier ? Ce type de coopération n'a pas été abordé au cours de la visite, mais le SCK-CEN est effectivement un leader mondial du secteur, et des coopérations dans le domaine sont certainement envisageables si la partie algérienne marque son intérêt. D'autre part, quand on sait que le centre nucléaire de Mol produit 20% de la demande mondiale de radio-isotopes et que ce centre se pose des questions sur son avenir en tentant un générateur de quatrième génération, pourrait-on concevoir des synergies entre les deux pays en ouvrant de nouvelles perspectives ? Comme vous le savez, ce générateur de la 4e génération, le projet Myrrha, est déjà un peu un projet belgo-algérien, puisque c'est le Dr Hamid Aït Abderrahim, directeur général adjoint du SCK-CEN, né en Algérie, qui en est le responsable. Il serait d'ailleurs beaucoup mieux placé que moi pour vous répondre... Dans les domaines de la santé et des transports, vous avez mis en évidence à Alger la disponibilité de votre pays. Comment voyez-vous la dynamisation des relations algéro-belges dans ces deux secteurs particuliers ? Santé : de nombreuses possibilités existent – design, hôpitaux, gestion, formation, etc. Transport : transit urbain, transport en commun, rail et électrification, gares TGV, ports, etc. Recherche, avant tout, de partenariats. Dans le domaine économique, les investissements belges sont loin des espérances attendues du côté algérien. Que comptez-vous entreprendre concrètement pour stimuler les hommes d'affaires belges aux potentialités diversifiées de l'économie algérienne, qui, comme vous le savez, jouit en ce moment d'une aisance financière reconnue internationalement ? Lors de ma visite, tant au niveau de la préparation qu'à Alger même, j'ai rencontré de nombreux entrepreneurs belges qui ont investi en Algérie ou cherchent à le faire. Je pense à Tractebel Engineering Algérie ou Transurb Technirail qui emploie près de 50 ingénieurs et techniciens algériens à Alger. Au-delà de l'investissement direct, je vois aussi beaucoup de partenariats qui sont recherchés et d'autres formes de collaborations technologiques. En ce qui concerne les relations consulaires, il semble que la Belgique assure une gestion jugée trop rigoureuse des visas attribués aux ressortissants algériens. Même des chefs d'entreprise belges se plaignent de cette situation. Compte tenu des bonnes relations entre les deux pays, peut-on imaginer, Monsieur le ministre, des facilités en matière de circulation des personnes ? D'autres pays, comme la France ou l'Italie, font, de toute évidence, preuve de plus de souplesse... En France, par exemple, des hommes d'affaires obtiennent même des visas d'une validité de plusieurs années. Nous avons convenu de rediscuter cette problématique sur la base notamment de ce que font d'autres pays. Cette question comporte principalement deux aspects : les conditions d'octroi des visas et la négociation d'un accord de réadmission. En outre, de hauts fonctionnaires algériens rencontrent également des difficultés pour accéder sur le territoire belge en dépit de l'obtention d'un visa et alors que leur séjour en Belgique est lié au fait que Bruxelles accueille de nombreuses institutions internationales (UE, Commission, Otan, Douanes internationales...). La Belgique compte-t-elle rendre plus aisée la libre circulation de ces hauts fonctionnaires algériens lors de leurs missions ? La nouvelle impulsion imprimée au dossier devrait permettre de passer l'ensemble des problèmes en revue. Il est de tradition, lors de visites de ce type, de faire un tour d'horizon de la politique internationale. Avec votre homologue Medelci, vous avez évoqué à Alger plusieurs questions comme celles ayant trait à la situation en Syrie et au Sahel. Quel peut être l'apport de votre pays pour mettre fin au conflit qui secoue la Syrie et pour faire en sorte que le Sahel redevienne une région pacifiée ? Sur la Syrie, je suis convaincu que toute solution à la crise syrienne implique une mobilisation de l'ensemble de la communauté internationale. La Belgique est donc active au sein des différents groupes mis sur pied, à commencer par les Amis du peuple syrien. Au Sahel, le rôle de l'Union européenne doit être central. Au demeurant, quand je me suis réuni avec le ministre délégué Messahel pour parler de la région, il venait de recevoir une délégation de l'Union européenne. Vous avez souligné à Alger l'importance du renforcement des liens entre les pays du Maghreb. Monsieur le ministre, Medelci a indiqué une nouvelle fois que la question de l'ouverture de la frontière algéro-marocaine n'était pas à l'ordre du jour. Que pourrait entreprendre concrètement votre pays pour apporter une solution au conflit qui se prolonge au Sahara Occidental depuis plus de trois décennies ? Je suis confiant pour les liens intra-maghrébins et j'en veux pour preuve le succès de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union du Maghreb arabe (UMA) que Mourad Medelci avait conviés à Alger la veille de ma visite. J'ai aussi entendu lors de notre conférence de presse commune mon collègue parler de “bâtir un avenir commun sur la base de relations bilatérales ouvertes avec les pays membres de l'UMA, notamment le Maroc". S'agissant précisément du dossier du Sahara Occidental, pourriez-vous préciser le point de vue exact de la Belgique par rapport à cette question car les autorités algériennes ont l'impression que la position de la Belgique vis-à-vis du Sahara Occidental n'est pas encore tranchée... Elle est bien établie pourtant, nous prônons la recherche d'une solution pacifique et négociée au conflit, sous l'égide des Nations unies. Dans le cadre de l'accord d'association avec l'Union européenne, il est prévu que les 27 apportent leur soutien à l'adhésion de l'Algérie à l'OMC. Comment la Belgique compte-t-elle œuvrer pour atteindre cet objectif ? La Belgique estime que l'adhésion de l'Algérie à l'OMC ne pourra qu'être bénéfique pour les deux parties. Je constate d'ailleurs ces derniers mois des contacts multilatéraux croissants organisés sur le sujet à Genève, et des contacts bilatéraux entre l'UE et l'Algérie qui ne le sont pas moins. C'est bon signe.