L'image était pitoyable. L'amnésie et l'ignorance des inhumanités infligées par le dictateur à son peuple ont fait que des mots de chagrin ont été arrachés à certains qui voient une humiliation de plus pour les Arabes. Libre à ceux qui se reconnaissent dans une brute déchue de le faire ; je préfère partager le soulagement joyeux de la masse des Irakiens. Trente-cinq ans d'arbitraire, de terreur, de torture, de disparitions, d'assassinats et de génocides. Un bilan qui n'a rien à envier aux pires fascismes, des nazis aux khmers rouges. On le savait : un satrape n'a pas toujours autant de panache au moment de la chute que de prestance pendant son empire. À voir les images de pitoyable fugitif qui a accepté d'endurer une existence de taupe pour sauver sa peau pendant que ses concitoyens enduraient encore les effets de sa folie. Hagard, il se livre, vide, à un médecin de l'armée américaine qui le palpe à la manière d'une bête curieuse et suspecte. Pas un mouvement d'amour-propre. Les pires monstres sont capables de payer des pires abaissements l'espoir de sauver leur tête. Eux qui n'ont connu que l'obéissance et les frayeurs sont donc capables des plus lâches délicatesses et des plus plates docilités. “Azdem ya Saddam !” On est loin du héros conquérant de Mazouni dont la chanson instamment diffusée par notre télévision d'Etat était censée entretenir, par procuration, notre dignité arabo-musulmane. Quelles insultes à la dignité des dirigés nous inflige parfois l'ENTV quand il s'agit de célébrer nos dirigeants et les dirigeants “frères” ! Dans l'idéologie qui domine le monde arabo-musulman, l'honneur des peuples est déposé dans la bravoure indomptable de nos maîtres. Leur cruauté dont ils font plus ou moins preuve, se confond par la magie enivrante de la harangue, avec l'audace qu'ils n'ont pas et devient — syndrome de Stockhlom oblige — leur légitimité. Dans sa grotte, une touffe de poils ébouriffés et malpropres avait depuis longtemps remplacé le panache qu'on pouvait prêter à Saddam. Pas même le maintien d'un Milosevic, ne serait-ce que pour honorer l'entêtement aveugle de certains des partisans. C'est pourtant lui qui les appelait, hier encore, du fond de sa tanière, à résister dans une dérisoire et suicidaire exhortation à la contre-attaque : “Frappez-les !” Et comme pour ne laisser aucun doute sur sa pleutrerie et sa perfidie, il ne se fait pas prier pour balancer ses amis et ses informations aux premières sollicitations. Les Américains sauront tout ce qu'il dissimulait au prix d'une guerre qui n'est d'ailleurs pas finie avec sa peu héroïque capture, chute et sa docile collaboration. Il faut vite rappeler le calvaire bassiste des Irakiens avant de le voir transformé en âge d'or, pleuré et que la fin de caniveau de Saddam ne soit érigée en épopée chevaleresque. Saddam a mal fini. Qu'importe ! Il a surtout mal fait. Et fait trop de mal. Misérable fin d'un tyran. Mais qui certainement ne nous prémunira point d'autres. Il y a ceci de tragique : les idéologies sont faites pour neutraliser les leçons de l'histoire. M. H.