Après des mois de cavale, le raïs déchu a été capturé à quelques kilomètres de son fief natal. Protégé par une population dont il a su s'attirer les bonnes grâces, il a pu longtemps échapper ainsi aux Américains, malgré un flux continu de renseignements faisant état de sa présence dans la région. De loin, c'est une ferme comme les autres. Sur une rive du fleuve du Tigre, une masure modeste, comme il en existent des milliers dans cette région du nord sunnite de l'Irak. Dehors, quelques outils agricoles. Plus loin, une vieille barque et un taxi. Les Américains pensent qu'ils auraient pu servir aux déplacements de Saddam Hussein ou l'aider dans sa fuite. Sur les images montrées lundi dernier, par toutes les télévisions du monde, la vie semblait encore tourner au ralenti dans ce lieu isolé du village d'Al-Daour, situé à 15 kilomètres de Tikrit, le fief du président irakien déchu. Pourtant, c'est non loin de là, dans une petite cave aménagée, que Saddam Hussein, l'un des hommes les plus recherchés de la planète, s'est caché, au moins pendant plusieurs semaines, pour échapper aux troupes d'élite de l'armée américaine, qui le traquaient sans relâche depuis le 9 avril dernier, date de la chute de Bagdad. Jusqu'au jour où, trahi par un “membre de son clan”, “il a été attrapé comme un rat”, sans avoir opposé aucune résistance. George W. Bush vient ainsi de remporter une bataille d'importance dans sa croisade planétaire contre le “mal”. Les 600 hommes de la 4e division d'infanterie, appuyés par des blindés, l'artillerie lourde et l'aviation, ont opéré à la tombée de la nuit. Samedi, dès 11 heures, ils avaient reçu l'ordre de lancer l'opération “Aube rouge” destinée à capturer ou à tuer Saddam Hussein. Les militaires américains ont décidé d'agir après avoir obtenu des informations précises, selon lesquelles, l'ancien président déchu et des membres de sa famille se cachaient probablement dans la région d'Al-Daour. Depuis quelques jours, les soldats de la 4e division d'infanterie, dirigés par le général Raymond Odierno et chargés uniquement de la traque de l'ancien dictateur, multipliaient les opérations de ratissage dans la région de Tikrit. Ils avaient acquis la conviction que Saddam Hussein s'y cachait, sans doute protégé par des membres de son clan. Un clan qu'il avait particulièrement choyé du temps où il était le tout-puissant président de l'Irak. À coups de milliards de dollars, prélevés sur les recettes pétrolières du pays, il avait, en effet, fait de Tikrit l'une des régions les plus prospères du pays, après la capitale Bagdad. Alors que le sud chiite, puni pour avoir osé se révolter en 1991, au lendemain de la guerre du Golfe, n'avait l'électricité que trois heures par jour ; Tikrit ne connaissait jamais de coupures électriques. Les entreprises appartenant aux hommes d'affaires étaient privilégiées dans tous les contrats passés par l'Etat irakien. Une clientèle reconnaissante Et dans le commerce, appartenir à l'une des nombreuses tribus qui peuplent Tikrit suffisait à ouvrir toutes les portes en Irak. La plupart des jeunes de la région travaillaient pour le gouvernement ou étaient de hauts gradés de l'armée et surtout de la fameuse Garde républicaine qui fut le plus fidèle de tous les corps des forces de sécurité irakiennes au raïs. Tout au long de son règne, Saddam Hussein y a, en effet, opéré de nombreuses purges pour la débarrasser de ses éléments les moins sûrs, comme les supposés opposants à son régime ou encore les éléments de la majorité chiite. À chaque purge, les officiers venus de Tikrit gagnaient en grade et en importance. Après le 9 avril dernier et la chute officielle de Bagdad, les Tikritis, militaires ou non, sont majoritairement restés fidèles à Saddam Hussein. Nostalgiques de l'ancien régime, ils ont même osé sortir dans les rues pour manifester leur soutien au dictateur déchu. Et c'est de cette région que partait l'essentielle des opérations de résistance contre les occupants américains. La prime de 25 millions de dollars promise par les Américains pour toute information qui conduirait à l'arrestation de Saddam Hussein ? À Tikrit, elle n'a jamais semblé intéresser personne. Au point où, de passage en Irak pour une visite surprise à ses troupes, le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld s'était étonné que personne dans le pays ne se soit encore manifesté pour empocher le magot ! Alors que tous les truands que compte l'Irak s'étaient lancés à la recherche de Saddam Hussein pour empocher la somme promise. Aucun habitant de Tikrit ne s'était présenté spontanément aux forces américaines pour leur fournir des informations sur l'endroit où pouvait se cacher Saddam, l'enfant du pays. Mais la pression psychologique et militaire exercée par les militaires américains allait finir par payer. Les informations se recoupent Au fil des jours, les informations sur la présence de Saddam Hussein dans la région devenaient de plus en plus précises. Les dizaines d'habitants de Tikrit arrêtés ont fini par dire ce qu'“ils savaient” sur l'endroit où pouvait se trouver l'ennemi numéro un des Américains dans le pays. Désormais, dès le début du mois de décembre, les unités d'élite de la 4e division d'infanterie avaient la certitude que “l'as de pique” se trouvait bien dans la région d'Al-Daour. Il leur suffisait alors d'opérer très discrètement pour ne pas éveiller les soupçons. Pour brouiller les pistes, la propagande officielle du Pentagone faisait croire dans les médias américains et internationaux que la traque de Saddam Hussein ne progressait pas au rythme souhaité par les dirigeants américains. George W. Bush, en difficulté dans les sondages, à moins d'un an de la prochaine élection présidentielle qui s'annonce difficile, serait même mécontent du travail de ses troupes en Irak. Or, de l'aveu même du sénateur républicain Saxby Chambliss, membre de la Commission du renseignement du Sénat américain, Saddam Hussein avait failli être capturé à deux reprises par les militaires américains. À chaque fois, les soldats étaient arrivés sur les lieux où il se cachait avec seulement quelques minutes de retard. C'était suffisant pour permettre à l'ancien président de disparaître dans la nature. Dès le début du mois de décembre, les recherches se sont concentrées sur un périmètre très réduit. Deux fermes, qui portaient les noms de code très péjoratifs de “Glutton 1” et “Glutton 2” (Glouton 1 et Glouton 2), étaient étroitement, mais très discrètement surveillées en permanence par les militaires américains. Pour le fugitif Saddam, les possibilités de déplacements dans la région de Tikrit devenaient du coup de plus en plus réduites. Et, sans doute, pour ne pas éveiller les soupçons des troupes américaines, il avait limité les contacts avec ses proches. Ce qui arrangeait parfaitement les affaires des soldats chargés de sa traque. Terré dans sa cave, située à 2,5 mètres de profondeur et aérée par un simple ventilateur, il attendait sans doute la fin des opérations de l'armée américaine dans cette zone pour pouvoir partir ou changer de cache. Mauvais calcul : l'absence de contact avec l'extérieur le rendait encore plus vulnérable. Finalement, ce sont les renseignements fournis par un Irakien, arrêté vendredi 12 décembre, à Tikrit, qui ont été déterminants pour l'arrestation de l'ancien dictateur. L'homme a été appréhendé en compagnie d'une vingtaine d'autres personnes au cours d'une opération menée avec l'appui des Pechmergas, ces combattants kurdes qui connaissent très bien cette région du nord de l'Irak. Aux côtés des troupes américaines, ils participaient activement à la traque de Saddam Hussein. Ils servaient surtout de guides et d'interprètes lors des interrogatoires. Les Kurdes détestaient particulièrement l'ancien dictateur : en 1988, il avait gazé plus de 5 000 personnes dans le Kurdistan irakien. L'armée américaine n'a pas précisé si l'homme qui a livré Saddam Hussein a collaboré de son propre gré ou s'il a été forcé de fournir ses informations après un interrogatoire musclé. L'état-major américain en Irak reste, en effet, curieusement évasif sur cette question, refusant même d'indiquer si l'individu va ou non empocher les 25 millions de dollars de récompense promise par le Pentagone. C'est “une combinaison de renseignements humains, de capacités exceptionnelles pour les analyser et de multiples interrogatoires (qui) ont permis” d'arrêter Saddam Hussein, a expliqué, dimanche dernier, le général Sanchez, le militaire américain le plus gradé en Irak. “Opération aube rouge” Samedi 13 décembre, à 11 heures, la première brigade de la 4e division d'infanterie reçoit l'ordre de “capturer ou de tuer Saddam”. L'opération “Aube rouge” est lancée. À 18 heures, 600 hommes, parmi les meilleurs éléments que compte l'armée américaine en Irak, prennent position autour de la ferme soupçonnée abriter Saddam Hussein. Ils sont discrètement appuyés par des blindés, des hélicoptères de combat, de l'artillerie et même des avions. Pour les soldats américains, le fugitif recherché était, en effet, un homme dangereux avec lequel il ne fallait prendre aucun risque. Officiellement, il pouvait même avoir en sa possession des “armes de destruction massive” ou chimiques dont il pourrait faire usage au moment de sa capture ! À 20 heures précises, en pleine obscurité, l'assaut est donné contre la ferme où l'ancien dictateur était censé se cacher. Mais surprise : Saddam est introuvable ! Ensuite, la version officielle de l'armée américaine affirme que c'est en entendant un bruit qu'un soldat a découvert presque par hasard l'endroit où se cachait Saddam Hussein : une cave située au fond d'un trou de 2,5 mètres de profondeur. “Nous avons découvert un trou d'araignée. Au fond se cachait Saddam Hussein”, affirme le général Ricardo Sanchez. Le président déchu avait sur lui un pistolet. Mais il n'en a pas fait usage. Ni contre les Américains ni pour se suicider. À plusieurs reprises, il avait pourtant laissé entendre qu'il n'accepterait pas d'être pris vivant par les Américains. Pourquoi ne l'a t-il pas fait, préférant l'humiliation d'une arrestation ? A-t-il été “drogué” au moment de l'assaut ? Les images montrées aux journalistes d'un Saddam Hussein fatigué, sale, les cheveux en bataille et le regard hagard suggèrent que l'homme n'était pas dans un “état normal”. Sa fille aînée en est même convaincue : “Saddam Hussein reste mon père. Toute personne honorable qui l'a connu (...) dans sa puissance et sa fermeté sait que celui qui est apparu sur les écrans de télévision était un Saddam Hussein drogué”, a t-elle expliqué, mardi dernier, sur la chaîne satellitaire Al-Arabiya. Un avis partagé par de nombreux services secrets occidentaux. L'assaut des soldats américains contre la cachette de Saddam Hussein s'est donc déroulé sans violence. L'ancien dictateur avait juste demandé à négocier : “Je suis Saddam Hussein, je suis le président de l'Irak et je veux négocier.” “Le président Bush vous souhaite le bonjour”, lui a répliqué, ironique, un soldat américain qui participait à l'assaut. L. G.