La nouvelle de l'arrestation du président irakien déchu, annoncée dimanche dernier, n'a pas eu un grand effet sur les Turcs, beaucoup plus préoccupés par leurs problèmes internes résultant des attentats-suicides du mois de novembre. À l'image de la réaction mesurée de Abdullah Gul, le ministre des affaires étrangères du gouvernement Erdogan, qui a déclaré que la “capture de Saddam Hussein ouvre une nouvelle ère pour l'Irak”, tout en appelant à une rédaction rapide d'une nouvelle constitution et à l'organisation d'élections libres, les Turcs n'ont pas trop commenté cet événement. En cette journée froide et pluvieuse de dimanche, les rues d'Istanbul n'étaient pas très animées, et il fallait entrer dans les cafés et restaurants, pour entendre les commentaires sur le sujet. Ainsi, dans le quartier de Beyazit, où se trouve l'université d'Istanbul et le Grand-Bazar, les commerçants et les habitants, qui ont pratiquement tous des notions d'arabe à force de contacts avec les “touristes des valises algériens” — sur lesquelles nous reviendrons dans nos prochaines éditions —, il n'y a pas eu d'explosion de joie particulière. Néanmoins, la satisfaction se lisait sur certains visages, comme sur celui de Murat, un gargotier sur la grande avenue, chez lequel se restaurent un bon nombre d'Algériens de passage. “Bon débarras pour ce dictateur qui a failli mettre le feu aux poudres dans toute la région à cause de ses agissements inconsidérés. Aujourd'hui, nous vivrons en sécurité sans lui au pouvoir, en Irak”, nous dit-il. Pour Ahmet, un vendeur à la sauvette de parapluies sur le parking jouxtant la faculté des lettres de l'université principale d'Istanbul, l'arrestation de Saddam Hussein “est une délivrance pour le peuple irakien qu'il n'a que trop asservi”. Sur la place Taksim, un des centres névralgiques de l'ancienne capitale de l'Empire ottoman, les Stanbouliotes étaient beaucoup plus occupés à chercher à prendre les moyens de transport pour rentrer chez eux en cette fin de journée pluvieuse et glaciale que de s'arrêter pour commenter la chute de l'ex-maître de Bagdad. Le lendemain, lundi, avec une météorologie plus clémente et les “unes” de la presse locale, toutes consacrées à l'événement, les langues se sont déliées. En effet, toutes les éditions de lundi ont fait de la capture de l'ancien président irakien leur ouverture principale. À la vue de la photo, grandeur nature, montrant Saddam barbu et les cheveux hirsutes sur les premières pages des journaux, notamment le quotidien à grand tirage Hurriyet, Vatan, Radikal ou Milliyet. Un des nombreux bijoutiers du Grand-Bazar nous lancera : “Regardez, on dirait un mendiant. Il a vraiment mal fini, pour quelqu'un qui possédait une vingtaine de palais à travers l'Irak et qui régnait sans partage.” “Il aurait dû se suicider ou mourir les armes à la main plutôt que d'accepter l'humiliation pour lui et pour son peuple”, ajoutera son voisin, un vendeur d'articles de cuir, qui sirotait un thé. On ne ressentait cependant aucune animosité dans les propos des Stanbouliotes sur Saddam Hussein. Certains semblaient éprouver de la pitié, à l'instar d'un receveur d'autobus sur la ligne reliant la place centrale de Besiktas à Levent, où se trouve le lycée de Galatasaray, pas loin de la banque Hsbc britannique, devant laquelle avait explosé une des voitures piégées des attentats du 20 novembre dernier. “C'est dur pour un homme d'être éprouvé de la sorte, surtout pour un père de famille, car c'en est un malgré tous ses méfaits quand il était président”, nous confie-t-il à voix basse. Ainsi, l'arrestation de Saddam Hussein n'a pas trop polarisé l'attention en Turquie, même si l'Irak est un pays frontalier. Néanmoins, l'on ressentait un certain soulagement dans les discussions résultant de la chute définitive d'un homme qui avait un poids considérable dans l'équilibre d'une région, il faut le dire, exposée à tous les dangers en raison de la montée du fondamentalisme religieux et des luttes d'influence entre les différents pays. K. A.