Quelques jours seulement après la manifestation de Rabat sévèrement réprimée par le Makhzen, un rassemblement s'est tenu samedi à Paris, à la place du Trocadéro non loin de l'ambassade du Maroc afin de dénoncer la “Beyâa", ce rituel “humiliant" qui soulève de plus en plus l'indignation de nombre de Marocains et de défenseurs de la dignité humaine dans le monde. Pour les organisateurs, cette manifestation intitulée : “Fête d'allégeance à la liberté et à la dignité" vient en solidarité avec les citoyens marocains qui refusent cette pratique “médiévale". Cette manifestation constitue non seulement un prolongement à celle tenue le 22 août dernier devant le Parlement marocain mais se veut également comme le prélude à d'autres démonstrations prévues dans plusieurs capitales européennes telles que Berlin, Londres, Madrid, Stockholm et Bruxelles. Il est surtout à rappeler qu'au Maroc, beaucoup s'attendaient, à la faveur des changements introduits par la nouvelle Constitution du 1er juillet 2011 à la suppression de la “Beyâa" considérée comme une pratique moyenâgeuse, un rituel archaïque qui a été maintenu bien qu'il porte atteinte à l'image du royaume chérifien. Pourtant, pour nombre de Marocains, l'adoption d'une nouvelle Constitution devait ouvrir une nouvelle page entre le roi et son peuple. “Il faut savoir que le protocole royal n'est pas codifié par des textes de loi mais par des traditions dont certaines sont devenues de nos jours, pour le moins, désuètes". Certes, la nouvelle Constitution a abandonné la notion de “sacralité" de la personne du roi, qui s'est révélée “anachronique" mais la loi fondamentale n'en continue pas moins à accorder au monarque un “privilège à caractère perpétuel et absolu, selon lequel il n'est pas possible de porter atteinte à sa personne". Ce qui est désigné par le concept d'inviolabilité. Bref, si la nouvelle Constitution continue de garantir le devoir de respect au roi, elle consacre aussi, par ailleurs, et dans plusieurs de ses dispositions, la dignité humaine pour tous ! C'est ce que retient en tout cas un avocat marocain proche du Mouvement contestataire du 20 Février qui nous a expliqué pourquoi les Marocains ne veulent plus de la pratique du baisemain et du rituel de la prosternation aujourd'hui bruyamment mis en cause. Ainsi, le 30 juillet de chaque année, des représentants du peuple, des corps constitués, des commis de l'Etat, des membres du gouvernement, des chefs régionaux et des simples citoyens sont contraints de se prosterner à plusieurs reprises devant le roi qui leur accorde sa “bénédiction". Le baisemain est également imposé à tout “sujet" marocain qui rencontre le roi. Et si pour l'heure la contestation est portée essentiellement par le Mouvement du 20 Février qui a réussi, il est vrai, à ouvrir le débat, il y a lieu de noter qu'à la tête de ce mouvement de refus, il y a le mouvement islamiste, El-Aâdl oua El-Ihsane, principale force d'opposition politique qui semble rester fidèle au dogme et en embuscade sur la question. Quant aux islamistes dits “light" du Parti de la justice et du développement (PJD), ces derniers juraient, avant leur entrée au gouvernement, qu'ils ne se résoudraient jamais pour leur part à une telle “pratique contraire à l'Islam" (chirk billah). Pourtant, mardi dernier, ils étaient tous là, comme l'exige le protocole, en grandes pompes, c'est-à-dire en babouches jaunes, en djellaba blanche et en chéchia rouge courbant l'échine à qui mieux mieux. En islam, et c'est connu, il ne convient pas à un être humain de se courber devant un autre et cela sous aucun prétexte. Il est reconnu, enfin, dans l'ensemble du monde musulman, que la prosternation n'est réservée qu'à Allah. Cette interdiction ferait même partie du culte. Par conséquent, tous ceux qui s'y adonnent doivent être considérés, en tout état de cause, comme des mécréants. Toujours est-il que sur le plan identitaire, le socle de l'identité amazighe repose sur le caractère d'insoumission cher à Si Muhend U Mhend et son fameux “anerroz ouella neknou". Mais ceci est peut-être déjà une autre histoire... Mohamed-Chérif Lachichi