Mais qui a demandé à la Banque centrale de faire le gendarme ? Si personne ne peut lui imposer ce rôle, l'institution est, de son côté, en devoir de s'abstenir de faire œuvre de mystification, comme elle vient de le faire, mardi passé, par la voix de son conseiller, Benbelkacem. “Pour contourner la réglementation, des opérateurs économiques passent par le marché parallèle, et ce, afin d'acheter des actifs à l'étranger. Cette fuite des capitaux est à l'origine de l'augmentation de l'écart de prix entre marché officiel et marché parallèle", a déclaré le conseiller. Ces affirmations supposent que le rôle de la Banque d'Algérie devrait se limiter à fixer un “taux officiel", déterminé par la formule de son cru, et ce que Benbelkacem appelle “les autorités publiques" devrait s'arranger pour que toute transaction se plie à cette règle. Les choses seraient tellement simples s'il suffisait de décréter un prix pour que celui-ci régente tout échange. Comme la plupart des institutions nationales, c'est la Banque centrale qui a une vie parallèle à la vie réelle et s'étonne que la réalité ne veuille pas s'adapter à sa vie rêvée. Un prix qui n'est pas établi par un marché ou qui, tout au moins, ne tient pas compte du rapport entre l'offre et la demande d'un article — ici, les monnaies — n'est pas un prix, en ce sens qu'il n'a pas de signification économique. C'est, tout au plus, un tarif. Et pour simplifier, le porte-parole de la Banque désigne les “opérateurs économiques" comme auteurs d'un mouvement de fuite de capitaux, limitant ainsi le soupçon de transferts de capitaux aux seuls entrepreneurs et commerçants, sans nous dire pour autant si l'institution réglementant le contrôle des changes dispose de données incriminant les seuls “opérateurs" dans ce type d'infractions. Il resterait alors à connaître des modalités de transfert de l'argent de la corruption, des détournements, des trafics et du racket terroriste. Ce serait sûrement moins inquiétant s'il n'y avait que les “opérateurs" pour animer le mouvement de fuite de capitaux : ils ont commencé par le gagner. Voilà donc une institution chargée de protéger le pays contre l'évasion des capitaux, de défendre notre pouvoir d'achat en limitant l'inflation, d'assurer la traçabilité des flux financiers et qui, devant la montée menaçante de ces fléaux, vient s'en laver les mains en proclamant que “le change parallèle ce n'est pas moi, l'inflation ce n'est pas moi, l'abolition du chèque ce n'est moi, l'évasion fiscale ce n'est moi". À moins que le message ne soit de dire que la Banque d'Algérie n'est, au vu de ses prérogatives réelles, pas une banque centrale, et que la politique monétaire et le contrôle des changes se font ailleurs. Cela placerait la Banque d'Algérie dans la situation de cette institution caricaturant l'Agence française de normalisation imaginée par Boris Vian dans son roman Vercoquin et le Plancton : sa raison d'être est de rédiger des espèces de “notes" sans se soucier de leur usage. La Banque d'Algérie rédige des “règlements". À part cela, et le fait d'être un alibi de gestion monétaire indépendante, elle ne serait responsable de rien. M. H. [email protected]