Bien qu'absent depuis un temps des activités du Sila, l'écrivain était présent samedi dernier au stand des éditions Barzakh pour procéder à la dédicace de son dernier roman, «le Dernier juif de Tamentit». Ce qui a attiré un grand nombre de lecteurs, venus rencontrer le romancier ou se faire dédicacer ce roman met en scène deux amoureux qui traversent les âges pour (se) raconter des histoires. Dans cet entretien, il revient sur les grandes thématiques qui traversent son écriture. [Entretien réalisé par Sara Kharfi] Liberté : Dans «le Dernier juif de Tamentit», on retrouve vos thématiques habituelles (sexe, religion). Au-delà de cela, on y lit comme un message de tolérance et de dialogue interreligieux... Amin Zaoui : Personnellement, je ne vends pas l'évènement. Ce livre a été entamé en 2009 et a été achevé en 2010. Il est tombé avec ce qui se passe dans le monde arabo-musulman, avec ce qui se passe maintenant en Europe, mais c'est un roman qui pose la question de la tolérance et de l'intolérance, non pas d'un point de vue idéologique mais avec plutôt un point de vue historique, anthropologique, ethnologique et en même temps, symbolique. J'ai essayé de découvrir un peu cette Algérie plurielle, cette Algérie profonde, dont malheureusement la nouvelle génération –même des intellectuels- ne connait pas. On ignore un peu cette Algérie profonde, cette histoire de tolérance, de pluralité, du vivre-ensemble. Je crois aussi que les guerres interreligieuses sont les plus atroces. Et la haine la plus profonde c'est la haine des religions. Le roman essaie de poser ces questions, dans un parcours historique. Ce sont toutes ces choses qui sont un peu romancée. C'est un peu dans la fabulation, l'imagination, les fantasmes, etc. Il y a aussi le rapport au corps... Le roman pose cette question d'une façon un peu symbolique. On ne peut pas être dans un amour tolérant, dans une situation charnelle de corps à corps si on n'est pas tolérant vis-à-vis de l'autre. Le couple du roman, il est différent de religion et de conviction, mais comme il y a cette tolérance, le corps s'y mets aussi, dans cette mouvance, cette fluidité sentimentale. La tolérance et la complicité dans le couple du roman est dû je crois au respect du corps féminin et masculin. C'est une complicité philosophique et en même temps symbolique. Ça se passe dans la tête. On ne peut pas faire l'amour à quelqu'un si on n'est pas en tolérance complète avec lui. Je crois que le couple Barkahoum et Ibrahim, il traine avec lui cette longue histoire depuis le 12e siècle mais avec une musicalité de corps, d'entente, de regard. Il y a toute une situation favorable pour que le corps se mette dans son humanisme fantasmatique. Lorsqu'on ne connait pas votre littérature, on est un peu secoué ou heurté par certains passages relatifs à la relation charnelle entre le couple, Barkahoum et Ibrahim, mais au fil des pages, il y a comme une normalisation du rapport au corps et à l'intimité... Tout à fait. Le sexe ou tout ce qui est érotique, est une chose humaine. Ce n'est pas une chose qui vient de l'extérieur. Dans le roman, c'est une chose qui est recoupée avec l'histoire, avec la mémoire, avec la culture, avec l'amour. Nous, on voit l'érotisme comme une chose refusée parce qu'on n'arrive pas à écrire cette situation humaine dans un contexte humain aussi, dans un parcours de symboles, dans un parcours aussi de sentiments, de tolérance avec soi, et aussi avec l'autre. De nombreux personnages prennent la parole dans votre roman. Il y a plusieurs narrateurs, pourquoi ? Ce roman est construit un petit peu sur une philosophie esthétique des «Mille et une Nuit». Il y a une histoire qui rentre dans une autre qui s'ouvre sur une autre mais c'est un tout qui passe visuellement, directement. Mon écriture est basée sur ce que j'appelle l'oralité. Et pour nous écrivains du Maghreb en général, si on veut vraiment donner quelque chose à la littérature en langue française, il faut revenir à cette mémoire, cette mémoire de l'oralité. Comment casser ce rythme parisien, ce style parisien, ce style franco-français, et comment donner à cette écriture une âme avec un français algérien. Un style qui donne l'impression à la lecture que c'est écrit avec un souffle qui vient de nous, qui vient de toute une mémoire, notre culture. C'est une façon de faire la phrase, une façon de faire le conte. Moi je ne peux pas conter une histoire à la manière de Victor Hugo ou autre, je ne peux pas et je ne me vois pas dans cette esthétique. Ce roman est construit selon le conte arabo-berbère, méditerranéen, alimenté par une lecture de l'histoire. Il y a aussi des citations à chaque début de chapitre (Ibn Arabi, René Char, etc.). Est-ce un clin d'œil ? Je crois que nous, dans notre culture arabo-musulmane, on a toujours une clé. C'est comme la grande maison, il y a la clé, puis il y a le patio, et puis à l'intérieur, il y a des chambres. Et avant de rentrer dans chaque chapitre, il y a une clé. Peut être la fausse, peut être la vraie, mais c'est une clé. Je commence le chapitre, et je donne de temps en temps une fausse clé. Mais le faux aussi construit le roman. Le mensonge c'est une autre facette du vrai. Et là quand je fais ces préambules ou ces petites phrases, c'est juste une carte de visite, mais attention, il faut vérifier. Le roman c'est aussi la réalité de l'écrivain... Ce n'est pas la réalité réelle, mais c'est la réalité de l'écrivain qui est une réalité montée de pièces. Mais ces mensonges, c'est une image d'une réalité, de l'histoire avec un grand H. Il y a des mensonges, il y a des choses imaginaires, mais tout ça est mis dans l'histoire avec un grand H. c'est l'histoire de la région, c'est l'histoire de l'Algérie, c'est aussi l'interrogation selon laquelle est ce qu'on a vraiment lu notre histoire, est que vraiment on est en tolérance avec l'histoire. Pourquoi l'algérien maintenant ne se regarde pas dans le miroir, dans son miroir, je veux dire historique et civilisationnel. Le roman pose cette question parce qu'on n'a pas étudié, on n'a pas enseigné, on n'a pas lu, on n'a pas fait la paix avec notre histoire. On est en guerre avec notre histoire. Tout le temps, on est en guerre avec notre histoire. Et on ne peut pas avancer, on ne peut pas construire une Algérie moderne tout en faisant une guerre à notre mémoire ou bien à notre identité. Identité dans toute sa diversité, sa pluralité. Le roman pose cette question avec insistance dès le début. C'est ce qui a présidé le choix de votre titre qui est en quelque sorte, pour reprendre votre métaphore de tout à l'heure, une serrure où l'on peut essayer plusieurs clefs ? Une serrure où il faut trouver la clé, tout à fait. C'est un titre symbolique qui engendre ou suscite plusieurs questions : est-ce que vraiment il y a le dernier juif ? Est-ce qu'il est juif ou musulman ?, etc. C'est en quelque sorte la question du religieux. On est bien dans une religion si on respecte l'autre religion, si on est tolérant avec notre religion, c'est-à-dire si on est dans la culture de la spiritualité dans cette religion. Si on n'est pas en paix avec notre religion, on est en guerre avec les autres aussi. Il y a une confusion voulue de votre part, semble-t-il, entre le Judaïsme et l'Islam... Je pense que les religions se rejoignent avec les mêmes références. Dans ce roman, le personnage finit par conclure qu'il n'y a qu'un seul Dieu, pour les Musulmans, les Chrétiens, les Juifs. Le même Dieu. Je crois que ce personnage nous montre d'abord, dans ce petit village de Tamentit, comment les gens essaient de faire de leur village un lieu de civilisation, mais quand l'intolérance arrive, la ville est détruite. Barkahoum et Ibrahim est aussi un couple moderne, un couple idéal. C'est un couple fantasmé... Ce couple modèle vit dans les hauteurs de Hydra, mais il se dit qu'on ne peut pas vivre une paix sans le retour à notre histoire commune et la décortiquer, sans soulever tout ce qui est positif et négatif et surtout, il ne faut pas avoir peur de dire qu'il y a un moment de férocité et en même temps de gaité, parce qu'il y a eu des moments de paix dans cette histoire. Le couple c'est comme un modèle, un symbole pour avancer dans cette paix avec soi et avec l'autre. Il faut prendre un rétroviseur et regarder l'histoire mais il ne faut pas vivre l'histoire seulement. Il faut la regarder et avancer. Le couple ne vit pas le passé mais il le regarde et vit sa vie.