Ce long-métrage, qui représentera l'Algérie au Festival d'Abu Dhabi (prévu du 11 au 20 octobre), est un film très nuancé, où le réalisateur ne fait aucune concession artistique mais essaie de dire beaucoup de choses à la fois dans son propos, au demeurant pertinent. Il est des souvenirs qu'on réprime, qu'on veut effacer de notre mémoire, parce qu'on en a honte, parce qu'on ne les assume pas ou parce qu'ils sont trop douloureux pour qu'ils fassent partie de notre présent. Dans une vie, il y a toujours des hésitations, des incertitudes et surtout des souffrances qui appartiennent au passé et qu'on ne voudrait aucunement voir ressurgir. Pourtant, les souvenirs reviennent nous hanter au moment où l'on s'y attend le moins, et réveillent des blessures qu'on croyait cicatrisées. Tout et n'importe quoi peut réveiller la douleur. Cela pourrait être une odeur, un parfum, une photographie, une voix... ou un coup de téléphone. Karima (Monica Guerritore), héroïne de Parfums d'Alger, de Rachid Benhadj, présenté jeudi dernier à Ibn Zeydoun en avant-première, replonge dans le désarroi suite à un appel de sa mère qui la sollicite pour venir en aide à son frère, Mourad (Adel Jafri). Les premiers plans de Parfums d'Alger installent le spectateur dans l'époque (1998) et le lieu (Paris dans un premier temps, puis Alger). Karima Bensadi est élue photographe de l'année. Elle est sollicitée de partout et mène une vie de rêve dans la capitale parisienne. Lorsque sa mère, Fatima (Chafia Boudraâ, toujours aussi émouvante), lui apprend que son frère est dans une situation délicate, elle laisse tout derrière elle et retourne au pays dont elle ne fait plus partie. Elle retrouve sa belle-sœur et amie Samia (Rym Takoucht), trouve son père, Ahmed (Sid Ahmed Agoumi), dans le coma, et son frère emprisonné. Elle retrouve Alger, plongée dans le chaos de la “décennie noire". Karima replonge dans tout ce qu'elle a cherché à fuir et tente de faire sortir de prison son frère, devenu émir dans le maquis islamiste, parce qu'elle croit, seule contre tous, qu'il est innocent et que le garçon jovial et plein de vie d'autrefois vit toujours en lui. La célèbre photographe, occidentalisée jusqu'à oublier son arabe, découvre que ses souvenirs sont restés intacts. Alternant les flashbacks, le réalisateur nous révèle les raisons qui ont poussé l'héroïne de son film à rompre avec sa famille. Son père, un “moudjahid" qui est resté figé dans le passé, patriarche violent et méprisant envers ses enfants, a violé Samia, la fille de son ami martyr, et dont il devait prendre soin. Rachid Benhadj, également scénariste de Parfums d'Alger, évoque plusieurs thèmes sans les approfondir (la décennie noire, la perception de cette décennie à l'étranger, les victimes du terrorisme, les relations familiales complexes, etc.), puis bascule dans une sorte d'hommage aux femmes (marche des femmes, projection de témoignages). Il réussit tout de même à dessiner une fresque lyrique et nuancée d'une Algérie où les générations s'affrontent et se confrontent : l'ancienne génération se mure dans le silence ou réprime les espoirs de la jeune, alors que la jeune entre en conflit ouvert avec l'ancienne et investit le terrain de la rue. Ce problème de communication si universel, mais qu'on veut souvent spécifier à la société algérienne, est souvent décrit et décrié dans notre cinéma ; mais dans Parfums d'Alger, la vision du réalisateur est plutôt nuancée et débarrassée de tout manichéisme. Rachid Benhadj renvoie dos à dos la génération des jeunes et celle de leurs parents et ne porte aucun jugement. Il préfère célébrer les femmes en lutte, force motrice d'un pays qui essaie de se (re)construire. Rachid Benhadj est plutôt suggestif, notamment à travers ses plans, au plus près des corps et des visages. Vittorio Storaro, le directeur de la photographie de ce film (produit par l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (Aarc) et Net Diffusion), qui a travaillé sur de grands chefs-d'œuvre du cinéma tels Apocalypse Now ou le Dernier tango à Paris, a donné une très belle couleur à Alger. Un Alger représentée par une couleurs ocre qui (re)donne à cette ville toute sa dimension mélancolique. Parfums d'Alger commence avec beaucoup d'incertitudes et se termine par des incertitudes, mais avec beaucoup d'espoir. L'espoir que l'on puisse un jour se remémorer nos douleurs pour guérir et se délivrer enfin... S K