Le nouveau film de Rachid Benhadj, sélectionné au Festival international du film d'Abu Dhabi, a été projeté hier en avant-première à Alger. Régler son compte au père castrateur, au père dictateur et au père patron est l'une des obsessions de la littérature et du cinéma algériens. Dans Parfums d'Alger, nouveau film de Rachid Benhadj, projeté en avant- première hier à la salle Ibn Zeydoun à Alger, le père est mis dans le coma. Ne meurt pas. Ce père-là (Sid Ahmed Agoumi) violent, repoussant, revendique «un passé glorieux», comme tous les «révolutionnaires» d'hier, dressés contre le colonialisme français pour enchaîner le pays après l'indépendance. Vivant dans une belle villa, comme certains «libérateurs» devenus riches, il tente d'imposer sa «loi» à ses deux enfants, Karima (Monica Guerritore) et Mourad (Adel Djafri). Il adopte, avant de la violer dans son hammam, Samia (Rym Takoucht), la fille d'un martyr de la guerre de Libération, son compagnon de maquis. Il a donc bien pris soin de la «amana» ! Karima se révolte. Tente de résister. Mourad est forcé de se marier avec Samia pour «cacher» la honte du père et «sauver» l'honneur des Bensadi, la famille, la tribu. Karima s'installe à Paris, devient photographe reconnue mais est rappelée, vingt ans après, par la mère (Chafia Boudraâ) pour trouver une solution à Mourad qui a basculé dans l'extrémisme religieux et le terrorisme. Un voyage vers le passé, les douleurs, les fantômes ! Des objets dans la maison ravivent les souvenirs chez Karima qui semble rattrapée par le pays qu'elle a essayé d'oublier. Le pays est plongé dans les violences. Cauchemar Pourquoi ? L'échec des pères ? Le faux départ ? La déconstruction identitaire ? La torture de l'histoire non écrite ? Les règlements de comptes non assumés ? Des youyous dans la nuit annoncent la fin des accrochages entre islamistes armés et militaires. Le délire complet ! L'histoire, racontée par Rachid Benhadj, se déroule comme un cauchemar. Cauchemar pas si lointain dans la mémoire nationale. Le cinéaste a eu l'intelligence d'atténuer le drame à plusieurs couches par des scènes toutes en poésie. Comme celle où Karima entre dans le café Séléné (Déesse de la lune chez les Grecs, fille de Cléopâtre VII et Marc Antoine chez les Romains), situé justement à côté du Tombeau de la Chrétienne, construit par Juba II en signe d'amour à cette même Séléné. Karima y prend des clichés de Targuis en train de jouer et de musiciens munis de gumbri et de flûte. Belle symbolique à double lecture parfaitement réussie tant par le cinéaste que par le perfectionniste italien Vittorio Storaro. Ce directeur photo a filmé de fort belle manière les arbres du Jardin d'Essai à Alger. Dans aucun autre film algérien, on n'a vu ce jardin, si méconnu, sous cet angle élaboré. C'est la scène première du long métrage : Mourad et Karima, enfants, jouant à côté d'une statue. La musique tout en chagrin, conçue par Saïd Bouchelouche, faisant appel à l'héritage andalou et aux chants berbères, soutient, comme il le faut, la trame dramatique. Comme ce Ya hjenjel ya mjenjel qui rappelle les soirées hivernales des dames d'Alger durant lesquelles sont évoqués les contes gorgés de rêves pour des enfants promis à «un avenir meilleur» ! «Mémoire courte» Monica Guerritore a su prendre sur les épaules toute la charge du rôle de Karima. Ryma Takoucht («belle surprise», selon le cinéaste) et Chafia Boudraâ ont plus convaincu que Adel Djafri. Sid Ahmed Agoumi et Ahmed Benaïssa restent fidèles à eux-mêmes. La direction d'acteurs n'est pas le point faible de Rachid Benhadj. Le cinéaste aurait pu éviter les petites interviews de femmes à la fin de sa fiction. Cela faisait encombrant pour une histoire fluide qui n'avait pas besoin de cet appoint. Mais où est le parfum dans tout cela ? Il y a, certes, des scènes de jardin dans le film, pas plus. Pas de roses. «Il y a des parfums qui sont bons à sentir mais faut pas exagérer, ils peuvent tuer. J'évoque la mémoire. La photographe tente de s'interroger sur ce qui s'est passé durant ses années d'absence. On a toujours cette interrogation lorsqu'on revient au pays. Qu'est-ce qui a changé ? D'autres pays arabes vivent actuellement des situations parallèles par rapport à ce qu'a vécu l'Algérie. J'ai cette impression que nous avons la mémoire courte. On ne s'en inspire pas», a relevé Rachid Benhadj, après la projection. Produit par l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et Net Diffusion, Parfums d'Alger est sélectionné au Festival international du film d'Abu Dhabi qui se déroule jusqu'au 20 octobre 2012.