L'émir du Qatar est entré mardi dans la bande de Gaza, devenant le premier chef d'Etat à se rendre dans le territoire palestinien depuis que Hamas, parti islamiste d'obédience Frères musulmans, s'est accaparé du pouvoir dans l'enclave palestinienne de Gaza en juin 2007. Hamad Ben Khalifa Al-Thani, à l'origine des retournements des révolutions arabes post-dictature, a fait le déplacement officiellement pour lancer des projets de reconstruction d'une valeur de 250 millions de dollars. Mais personne n'est dupe : son déplacement est intervenue après que des élections municipales se soient déroulées en Cisjordanie, la partie palestinienne couverte par l'Autorité palestinienne reconnue internationalement et surtout par le Ligue arabe. Hamas, qui a refusé tout compromis avec Mahmoud Abbas et son parti le Fatah plutôt laïc, a rejeté ces élections, premières marches dans le renouvellement des institutions palestiniennes. Officieusement, l'émir du Qatar, qui s'est rendu chez des hôtes considérés par ses alliés américains et européens comme des “terroristes", a susurré que sa présence à Gaza était tactique. Al-Thani dont le rôle et l'influence dans le Proche-Orient et au Maghreb post-“printemps arabe" ne peuvent être ignorés, a cherché à amener Hamas à prendre ses distances vis-à-vis de l'Iran dont le programme nucléaire, accusent Washington, Jérusalem et Bruxelles, menace d'un conflit armé l'Etat hébreu. Reste qu'Al-Thani à Gaza représente un coup de poignard dans le dos de Mahmoud Abbas et, incontestablement, une grande victoire diplomatique pour le Hamas dont le gouvernement sur l'enclave palestinienne n'est pas reconnu internationalement. Au-delà, la visite de l'émir dont le pays abrite la plus importante base américaine dans la région, reflète les liens privilégiés tissés par le Qatar avec les islamistes dans la région et ses prolongements au Maghreb et en Afrique. Le hold-up électoral des révoltes arabes en Tunisie, Egypte, Libye, Maroc, la guerre civile en Syrie et les bruits de bottes dans l'avancée des djihadistes dans le Sahel, sont à mettre sur le compte de ce petit richissime pays du Golfe arabo-persique. Au point où écrire aujourd'hui que tous les chemins de l'islamisme mènent à Doha, comme le démontre Naoufel Brahimi El Mili, professeur en sciences politiques à Paris, pour qui “les soulèvements du monde arabe ont été, sinon orchestrés, du moins encouragés, voire pilotés depuis le Qatar, minuscule émirat par sa taille, grand par sa fortune, et détenteur, de surcroît, d'une arme redoutable : la télé-révolution Al Jazeera, à travers laquelle les révoltes arabes deviennent des odyssées audiovisuelles, et l'événement scénarisé d'un feuilleton haletant d'histoire immédiate". Grâce à sa chaîne satellitaire qui ne parle jamais du Qatar sauf à travers des spots publicitaires, cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani a pesé sur les destins des autocrates arabes déchus et étendu son influence sur une vaste région, du Golfe à l'Atlantique. Même le Sahel n'y a pas échappé. Le président de la République par intérim du Mali, Dioncounda Traoré s'est rendu cette semaine au Qatar pour, a-t-on dit à Bamako, “tenter de convaincre" l'émir de retirer ses billes du conflit qui sévit au Nord-Mali. Selon la télévision nationale malienne qui cite le président Traoré, “le Qatar est disposé à aider notre pays pour le retour de la paix au Nord", une assurance donnée par cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani en personne. Le Qatar était pourtant jusque-là soupçonné de soutenir les insurgés au Nord-Mali par une partie de la presse malienne et française pour lesquels l'émirat du Qatar serait un soutien financier de poids pour les différents groupes islamistes qui ont pris le contrôle de l'Azawad au mois de mars dernier. A en croire les inconditionnels du Qatar, l'émir en se rendant à Gaza aurait délibérément choisi de mécontenter son sponsor américain, qui maintient son orientation d'isolement diplomatique du Hamas ! Reste à savoir comment, quant on sait que tout l'arsenal du Pentagone contre les peuples de la région, jusqu'en Afghanistan et en Iran, est entreposé au Qatar. Al-Thani a reçu un brevet de la part de ses amis occidentaux pour “promouvoir la démocratie" dans le monde musulman, sans l'appliquer sur son propre territoire. D. B