Trente-cinq mille ans environ, avant la naissance de sidna Aïssa, des hommes vivaient déjà à Aourir nat ghobri, dans l'actuelle commune d'Ifigha. Ils subsistaient alors de la chasse et de la cueillette de fruits. Le témoignage le plus important de cette époque est, sans conteste, la merveilleuse grotte d'Ifri n'Dlal, où des écritures lybiques et des symboles remontant peut-être, selon des connaisseurs, aux premières écritures égyptiennes et gravées sur une de ses parois, prouvent incontestablement la présence de très anciennes civilisations dans cette région, malheureusement inexplorée. Ce magnifique site historique, qu'est Ifri n'Dlal, a vu défiler dans le temps de nombreux et éminents chercheurs et spécialistes armés du fol espoir de percer le secret de ce message rupestre, sans succès, hélas ! parmi les illustres visiteurs de ce site, on peut citer Saïd Boulifa en 1904, des ethnologues français et allemands et, dans un passé récent, Mouloud Mammeri. En dépit de la volonté avérée de tous ces hommes de culture, le mystère de la grotte d'Ifri n'dlal demeure toujours entier en attendant la venue d'un Champollion II, si d'ici-là, ce site “multimillénaire”, totalement abandonné par les autorités concernées du pays, agressé par l'érosion et surtout par des mains anonymes et criminelles, ne tire sa révérence en emportant avec lui tous ses secrets, ce qui, inéluctablement, ne manquera pas de porter le coup de grâce à une histoire et à une culture algérienne déjà fortement occultées. En outre, il est utile de signaler la découverte, en 1925, d'une tablette, visiblement un pan de rocher, sur laquelle sont immortalisés des hiéroglyphes similaires à ceux d'Ifri n'Dlal. Ce qui nous amène à affirmer que le territoire Nat Ghobri recèle encore dans ses entrailles, ses montagnes et ses grottes d'inestimables trésors, des civilisations berbère et romaine, car cette dernière est, elle aussi, passée par là. En effet, durant l'occupation romaine et afin de rallier la ville d'Alexandrie (Egypte), les soldats de Jules César, dont le point de départ était Zéralda, transitaient par le village Aourir dont l'étymologie signifie montagne, via Mekla, Djemaâ Saharidj, Ifigha, Chebel (Yakouren), Mehaga (At Yadjar), Béjaïa... Ce réseau routier réalisé au IIe siècle après JC a nécessité la mobilisation de 200 000 hommes, entre soldats et esclaves, et cela durant plus de 30 ans.Cette voie romaine, reconnaissable jusqu'aux années 1991-1992, avant l'ouverture d'une piste agricole, fut achevée en grande partie sous le règne de Septime Severe, un Berbère devenu empereur romain entre 193 et 211 après JC. Aourir a vécu aussi l'épopée de la dynastie des At Welqadi sous la férule de Ahmed Welqadi, connu sous le titre de roi de Koukou. Cet intraitable et courageux guerrier est originaire d'Aourir Nat Ghobri. Il est issu de la famille At Messaoud, présente encore de nos jours au village. Ahmed Welqadi a pris le nom de Kadi (juge) par la fonction qu'il exerça au début du XVe siècle à la cour des Hafsides de Béjaïa. Cette fonction, ainsi que les liens familiaux qu'il garde avec les Hafsides de Tunis, lui firent jouer un rôle très important dans la région, alors en proie à l'invasion espagnole et turque. Entre 1450 et 1550, Aourir était le siège de la dynastie. En 1520, Ahmed Welqadi prend le contrôle de la ville d'Alger et en devint roi, après avoir battu Kheïr-Eddine dans la plaine des Issers. Il mourut assassiné en 1527 par une main criminelle à la veille d'une bataille qu'il s'apprêtait à livrer aux armées turques à Tizi Nat Aïcha. Ahmed Welqadi est enterré au village d'Achallam en contrebas d'Aourir. La disparition tragique du roi de Koukou influera beaucoup sur l'avenir de la Kabylie, car les guerres tribales et intestines auxquelles faisait face la famille Welqadi, notamment contre la tribu des At Abbas, finirent par fragiliser la dynastie, ce qui permit à Ali Khodja de liquider définitivement le royaume de Kabylie en 1730, ainsi que la dernière lignée royale des At Boukhtouch (les hommes aux javelots). En ce qui concerne le QG d'Ahmed Welqadi, communément appelé Ldjamaâ u Tunsi, ses derniers vestiges furent totalement rasés en 1960 par l'armée coloniale. Avant de s'installer à Aourir, les ancêtres vivaient à Marwi, mais pour des raisons de stratégie et de sécurité, ils décidèrent de s'implanter au sommet d'une crête ayant pour plaines Tivhirine, Ldjamaâ Ouboukhtouch et Imghadène. Durant la guerre de Libération nationale, le village Aourir, à l'instar de tous les autres villages de Kabylie, a payé un lourd tribut pour son engagement sans faille contre le colonialisme français. 29 de ses meilleurs enfants se sont ainsi sacrifiés pour cette juste et noble cause (sur les 150 qui y vivaient pendant la Révolution). C'est d'ailleurs dans ce village paisible, hospitalier et fier que nous avons rencontré, il y a quelques années de cela, Dda Amar Abdi, Nna Ouardia Madouche et Nna Khoukha Mellak, des résistants de la première heure qui nous ont raconté, avec force détails et beaucoup d'émotion, les affres et les stigmates de la guerre contre l'oppresseur, la prison, la torture, la faim... Dda Amar, qui ne pouvait s'empêcher de verser des larmes silencieuses à chaque évocation de la guerre, nous a parlé de son village martyre, assiégé en 1957 durant sept jours et sept nuits, avec ses habitants entassés dans une maison, avec interdiction absolue d'en sortir, même pour se soulager, de ces glorieux combattants tombés au champ d'honneur ou encore vivants. Il nous a parlé de cette malheureuse jeune fille de 17 ans qui, en voulant refermer la porte de sa maison, a eu le sein arraché par une balle assassine, de cette vieille femme froidement abattue d'une rafale de mitraillette, ou encore de ses longs séjours en prison, notamment à Tizi Ouzou, des embuscades meurtrières tendues aux soldats français, du sabotage des ponts et de la perte de toutes ses dents suite aux violents et inhumains sévices de ses tortionnaires... Nna Ouerdia et Nna Khoukha, mères courage, ont, elles aussi, relaté leur combat au féminin qui s'est traduit par le ravitaillement, la collecte d'argent, le guet durant des nuits entières pendant que les moudjahidine se restauraient ou se reposaient, la prise en charge du courrier... et les tortures subies. Ces femmes ont eu aussi l'insigne honneur d'accueillir, à Aourir même, le colonel Amirouche après un raid meurtrier des forces d'occupation, qui a mis à feu et à sang le village. En effet, alors que tous les hommes étaient soit tués, soit emmenés et qu'il ne restait au village que des femmes et des enfants prostrés, hagards et gémissant, le colonel Amirouche fit son apparition et lança à leur adresse : “Femmes ! essuyez vos larmes, lavez-vous, mettez des vêtements propres et vaquez à vos occupations. Ne donnez pas aux colonialistes l'impression d'être abattues et soumises, soyez courageuses et fières, car quels que soient les sacrifices, nous vaincrons !”, un ordre qui fut exécuté sur le champ, concluent les deux moudjahidate. Après l'indépendance et au vu d'un développement économique et démographique des années 1970, les Aouriris ont ressenti le besoin d'une vie moderne. Fut alors entreprise la construction d'un nouveau village sur un terrain commun dénommé Tibhirine, où la majorité des habitants ont maintenant élu domicile. Actuellement, le village Aourir compte environ 1 500 âmes, dont plus de 450 émigrés parmi lesquels une cinquantaine regroupée dans l'Association de solidarité d'Aourir en France (Asaf), une association très active qui est pilotée par M. Ahcène Akrour et Mme Tassadit Allaf. Rappelons que l'Asaf œuvre en étroite collaboration avec le comité du village pour la prise en charge de beaucoup de projets d'intérêt public, dont la sauvegarde et la préservation du site d'Ifri n'Dlal, la construction d'abribus, l'achèvement de l'assainissement, l'AEP, l'installation d'une cabine téléphonique ainsi que le soutien et l'aide aux élèves des différents paliers de l'enseignement, entre autres. M. R.