Les candidats à la prochaine élection locale ont encore une semaine pour convaincre. Mission difficile, voire impossible, les prétendants au poste de maire butent sur des électeurs totalement désabusés. Du manque d'imagination à l'absence de thématique, certains candidats tentent vainement de gagner ce grand réservoir de votants en galvaudant des concepts. Reportage. Aâmi Saïd se souvient du premier jour de l'indépendance de l'Algérie. Rencontré devant une supérette de Draria, sur les hauteurs d'Alger, ce retraité résume le progrès en trois mots : les hommes et les femmes, le travail et la confiance. “Vous savez, dit-il, j'avais trente-deux ans quand notre pays a recouvré sa souveraineté. J'ai pratiquement vécu toutes les échéances électorales. De toutes mes tripes ! J'ai fait cela pour que nos cités gagnent en cadre de vie. Aujourd'hui, j'estime que les jeunes doivent prendre en charge leur destin. Nous ne sommes plus dans un Etat providentiel. Pour avoir un logement, il faut couper les routes. Pour rétablir l'électricité, il faut l'émeute. Pour se soigner, il faut faire l'impossible, et pour vivre, il faut se soumettre aux lois de l'informel et d'une mercuriale ravageuse. Dans ce mode de vie impitoyable, personne ne cherche après toi, mais pour aller voter, on s'incline et on t'embrasse la main. Moi, en ce qui me concerne, je voterai sans ça. Mais pour vous dire, les futurs maires doivent faire preuve de plus de diligence, de respect, d'imagination et de présence, même s'ils n'ont pas les moyens de subvenir aux besoins de la population." Son épouse, le sourire angélique au coin, espère de cette échéance un “nouveau cap pour la jeunesse." Croyant que je suis candidat à l'élection, elle m'interpellera : “Recevez les jeunes, parlez avec eux et cherchez des solutions, et vous verrez les résultats. Ne dites jamais aux démunis que vous êtes en réunion ou que vous êtes occupés dans des chantiers qu'on ne voit jamais, mon fils." Après un bon quart d'heure de discussion, elle se rendra compte et se ressaisira : “Alors dites aux candidats et aux futurs maires que vous êtes la relève et que la relève se mérite. Que me reste-t-il mon fils de cette vie, mes enfants ont grandi dans la misère, mais ils vivent tous dans le bonheur. Mais pas les autres." Dix jours après le démarrage de la campagne électorale, les électeurs ne semblent pas être chauds. Optimistes, certes, ces deux vieux résument un tant soit peu la pensée des jeunes, soit 75% du réservoir des électeurs. La politique, que du mensonge... Les mêmes discours, les mêmes promesses et les mêmes figures n'emballent pas tellement ce jeune commerçant de la rue Mogador, limitrophe à Larbi-Ben-M'hidi (ex-rue d'Isly). Connu des habitants, crédible même s'il n'a que la vingtaine, ce commerçant est l'homme à tout faire. “Serviable", pour paraphraser son copain, il estime que “la prochaine élection ne le concerne ni de près ni de loin". La raison ? “Ma famille en est à sa quatrième génération dans l'Algérois. On a habité partout à Alger et, jusqu'à présent, nous n'avons pas eu droit à une vie décente. Je gagne ma vie, certes, mais je gagne surtout mon environnement et mon voisinage. Le reste relève de la politique, donc du mensonge. Interrogez-moi sur le Mouloudia d'Alger ou la JS Kabylie, je vous dirai des choses. Le reste, avec tous mes respects, ne me regarde pas. Les élections, c'est fait pour les gens qui ont du temps à perdre", dira-t-il avec amertume, non sans afficher son optimisme pour l'avenir : “L'avenir dépend de moi et seulement de ce que je gagne pour nourrir ma famille. Mais j'y arriverai." Tout au bout du long boulevard de Bab El-Oued, Ramdane, chauffeur de taxi et “originaire d'Azeffoun", comme il aime à insister, veut donner sa voix pour, dit-il, “sauver les meubles". “Que voulez-vous faire mon frère ? Ne pas voter ? Rester chez soi le 29 novembre ? Voir à partir de sa fenêtre des vieillards voter et pas toi ? Non, c'est la déraison. Quelle que soit la qualité des candidats, je voterai. Je sais que je n'ai rien à attendre d'un maire, mais le vote relève du civisme. Il faut dire à ton adversaire que je tu es son adversaire et pas son ennemi. Si ton adversaire devient maire, à ce moment-là, il faudrait avoir du tact pour lui signifier qu'il n'a aucun choix que de t'écouter. Nous devons composer et construire une opposition basée sur les valeurs de respect." Des garages de zlabia et de moutons transformés en QG À El-Biar en revanche, notre premier vis-à-vis n'est même pas au courant qu'il y aura des élections locales. Mais bon ! À chacun sa raison d'être, mais notre interlocuteur finira par s'accrocher à la discussion. “Ah, je vois, mais je n'ai pas compris que ces garages improvisés sont les QG des candidats", dira-t-il d'emblée. Avec une rare dérision, fort heureusement consacrée en politique, il raconte que “des garages qui servaient, il y a quelques jours, de dépôt de moutons pour la fête de l'Aïd sont transformés en lieux de rendez-vous des candidats et des militants de partis. Je sais une chose, ces mêmes garages serviront de fabrique de zlabia pour le prochain Ramadhan. Wallah (au nom de Dieu) que ces gens font pitié et que moi je fais ma vie, sans plus." à quelques encablures d'El-Biar, un fonctionnaire, qui sirotait tranquillement son café, croit “sincèrement que les maires n'ont aucune prérogative".Visiblement déçu par le niveau des discours et designs des affiches, Karim estime que “cette campagne rappelle aux Algériens les années de braise". Mais comment ? “Prenez n'importe quelle affiche apposée sur les murs ou sur ces vulgaires panneaux, on a l'impression que les candidats sont forcés de se présenter ; ils n'ont aucune humeur. Mais, bon Dieu, un peu de couleur, d'étude et de sondages ! En Europe, pour un problème d'homosexualité, des instituts s'improvisent à interroger la rue et les politiques, alors que chez nous, pour le bien de la collectivité, on nous signifie qu'on pourra dormir tranquille parce que les marchands informels et les parkings sauvages sont définitivement éradiqués !" Les étudiants sur une autre planète Les étudiants, quant à eux, sont aux abonnés absents. Devant la faculté de droit de Ben Aknoun, Rahim, originaire de Gué de Constantine, pense à son année qu'il venait à perdre. “Le 29 novembre ? Pourquoi, il y aura quelque chose ?" La discussion allait tourner au vinaigre n'était l'intervention de son ami intime, Yacine. Celui-ci, plutôt “zen-attitude", nous renvoie directement aux élections législatives. “Avez-vous rencontré depuis le 10 mai dernier un seul député dans la rue ? Avez-vous vu un seul sénateur dans un marché en train de discuter avec ces vieilles ou encore ces pères de famille qui n'arrivent pas à supporter le poids de l'inflation ?", s'interrogera-t-il. Son ami, nerveux, ne comprendra absolument pas ce qu'est l'inflation. Mais l'inflation constitue-t-elle le problème des maires ? Les Algériens savent-ils à quoi sert un maire si des étudiants l'ignorent ? La vieille école étant démissionnaire, les candidats à l'élection du 29 novembre ont encore quelques jours pour convaincre. Réussiront-ils à gagner ces voix dispersées et désabusées ? Compte à rebours... F. B.