Le procureur a requis, hier, 20 ans de prison contre Chani Madjdoub et Mohamed Boukhari assortis d'une amende de 8 millions de DA chacun. Quant aux deux sociétés chinoises, le procureur propose leur exclusion du marché public pour une durée de 5 ans et devront s'acquitter d'une amende de 3 millions de DA chacune. Les plaidoiries se sont poursuivies tard dans la soirée. Le procès en appel de l'affaire Algérie Télécom s'est ouvert, hier en début d'après-midi, après plusieurs reports, avec l'audition de Mohamed Boukhari, ex-conseiller du ministre des Télécommunications. L'affaire remonte à 2003, lorsque ce dernier a été approché par des responsables de deux sociétés chinoises, ZTE Algérie et Huawei Algérie, en vue de faciliter leur implantation dans le pays. Boukhari reconnaît avoir perçu de l'argent, mais dans un cadre de consulting qui n'a rien à voir avec sa fonction. Devant le magistrat, il déclare : “J'étais à l'époque conseiller chargé de la communication et donc, je n'avais pas le pouvoir d'influer sur le processus d'attribution du marché. Au début, j'ai refusé catégoriquement cette proposition. J'ai fini par accepter, partant du principe que l'argent en question ne provenait pas des caisses d'Algérie Télécom ou de toute autre institution publique." Au total, Boukhari aurait perçu, selon le dossier judiciaire, 10 millions de dollars. “Les Chinois m'ont dit qu'il avait une enveloppe à consommer ou pas. Je les ai aidés à mettre en place une communication de masse, à régler des problèmes bureaucratiques et à découvrir des opportunités du marché algérien pour s'installer d'une manière plus efficace." Au cœur de ce scandale, se trouve en bonne place la filiale luxembourgeoise d'une banque française : Natixis Private Banking. C'est à travers cet établissement financier que les commissions — qui seraient en fait des rétro-commissions — ont été effectuées sur son compte personnel. Boukhari est introduit par une de ses connaissances auprès de Natixis Private Banking. Son dossier est pris en charge par Dominique Fermine, qui deviendra un peu plus tard son conseiller. Après avoir remporté un premier marché, les responsables de ZTE et de Huawei comptent bien poursuivre leur plan. Mais très vite, ils font face à la nécessité de justifier le versement des sommes aussi importantes sur un compte privé. Alors, ils proposent à Boukhari de créer deux sociétés offshores. Boukhari s'en remet à Fermine qui, à son tour, sollicite l'homme d'affaires Chani Madjdoub, président d'ADC conseil, une fiduciaire basée au Luxembourg et spécialisée dans la gestion de patrimoine. Madjdoub prend attache avec un cabinet d'avocats londonien qui lui propose une liste de sociétés basées aux îles Vierges britanniques dont Doney Business Corp et Traco Business Limited. L'acquisition se fait au nom de Chani Madjdoub qui en devient l'unique administrateur. Devant le magistrat hier, Boukhari soutient n'avoir jamais rencontré Chani Madjdoub. Les commissions ont commencé à être versées sur les comptes de Doney Business Corp et Traco Business Limited dès 2004. Le juge lui demande alors si c'est avec cet argent qu'il a acheté une villa à Annaba, deux chalutiers et un terrain à Birkhadem. Il répond que ces acquisitions datent de deux mois avant son premier retrait d'argent de la banque Natixis. “Si j'avais quelque chose à me reprocher, je ne me serais jamais présenté devant le juge, puisque j'avais un passeport et un visa en cours de validité. Il y avait à l'époque 20 projets en cours et les deux sociétés chinoises n'ont remporté que deux parce qu'elles ont fait les meilleures offres", dit-il. Le procureur lui rétorque : “C'est là que résidait ton rôle, leur fournir des informations en usant de ta fonction pour remporter ces marchés." Il faut savoir que cette affaire a éclaté à l'occasion de l'instruction entamée dans le cadre du dossier de l'autoroute Est-Ouest, suite à une commission rogatoire internationale ayant conduit le juge d'instruction de la 9e Chambre près du pôle judiciaire de Sidi-M'hamed au Luxembourg. C'est justement sur ce point que la défense de Boukhari et surtout celle de Chani ont contre-attaqué. “Les faits transmis par la commission rogatoire ne permettent pas, selon la loi, d'ouvrir un nouveau dossier judiciaire. Sinon il fallait informer cette commission de la destination finale de ces informations. Il y a eu manipulation", soutient Me Bouraya. “Avant de parler de fait, il faut respecter les règles de procédure", enchaîne une autre avocate. Les avocats ont tenu également à mettre en avant la prescription des faits qui sont antérieurs à la promulgation de la loi sur le blanchiment d'argent en 2006. Chani et Boukhari sont poursuivis pour trafic d'influence, corruption et blanchiment d'argent. Affaire à suivre. N H