Je ne sais pas si c'est une “oqda" ou un complexe qu'elle traîne comme une série de casseroles, mais Oran est sans doute la seule ville d'Algérie où les gens sont classés en fonction d' une curieuse pyramide des âges. Il y a les mouflons qu'on appelle “l' baz" et qui comptent en général pour du beurre , il y a ensuite “l'kbir" qui ne doit pas dépasser 40 berges au compteur et enfin “l' memel" c' est-à-dire le croulant à qui il ne reste que quelques ablutions à l'eau chaude pour rejoindre sa grand-mère dans les verts pâturages. Même si son moteur biologique n' a que 43 ans à l'état civil, on estime ici que sa carcasse est bonne pour la casse. Il suffit de quelques cheveux blancs sur la tête, je dis bien quelques touffes de cheveux et vous avez droit illico au titre de hadj et même de hadji, ce dernier étant facultatif. Je ne vois pas très bien la différence mais c'est comme ça. En fait tout dépend de votre dégaine. Si vous portez un costume et une belle cravate, vous avez droit aussitôt au galon surprise, celui de papy. il paraît que ça fait classe ...Tu parles. Bref tout ce qui arbore une barbe poivre et sel ou pire un crane poivre avec beaucoup de sel dessus est considèré comme un “zoobie", un mort en puissance. Le “chibani" idéal dans cette cité en perte de vitesse doit être selon les canons qu' elle se fait du troisieme âge, humble, éviter de réfléchir, de faire de l'humour, de faire du tapage, il doit raser les murs quand il peut, s' excuser pour un oui et surtout pour un non. Il doit en outre s' habiller très simple, ne pas rire, ne pas plaisanter, ne pas écouter de la musique, roupiller, prier et regarder passer la vie comme une vache regarde passer un train. Aux arrêts dans sa chambre, il doit attendre son heure comme tout le monde. Il faut sortir d'Oran, de sa poisse et de ses préjugés pour se rendre compte que les cheikhs dans l'arrière pays sont fêtés justement pour leur âge et la baraka qui va avec. Et pour cela, ils ont droit à tous les égards. M. M.