Il avait la voix rauque des grands fumeurs. Mais attention, cette voix rauque ne cachait pas un roc. C'était un tendre cet homme râblé qui ressemblait à un bandit de grand chemin : yeux de feu, cheveux en bataille et le verbe éructant. Alors que je rejoignais la grande équipe de Révaf des années 80, il ne m'a pas pris de haut cet aîné qui était déjà une référence en matière de cinéma et de culture. Il ne tenait pas le journalisme sportif pour un genre mineur et le football pour un sport stérile, un amuseur de foules, où l'on voit “22 tarés courir comme des dératés derrière un ballon au lieu de courir derrière une blonde !", comme disait l'un de nos confrères de cette époque. Abdou parlait du foot non avec l'autorité d'un expert, mais avec la passion du cœur. Et souvent il avait raison. Parce que son agilité intellectuelle, sa culture dialectique lui permettaient d'avoir presque toujours le dernier mot. Et quand il ne l'avait pas, il emportait la mise quand même grâce à son rire tonitruant et à ses jurons si particuliers qui montraient bien que l'homme a fait bon usage de son passage à Sétif. Ce qu'il avait de remarquable, c'était son cœur — on y revient toujours — qui contrastait avec son verbe vif. Mille fois j'ai cru qu'il allait s'étriper avec un contradicteur, mille fois je l'ai vu se réconcilier comme si de rien n'était. Il fallait voir la tête de l'autre qui tremblait encore d'émotion — de rage même parfois — de voir un Abdou apaisé et réconciliateur différent du redoutable débatteur. En cela, il était un vrai démocrate. Mais un démocrate passionné et non froid. Et cette passion des idées était aussi une passion pour les hommes. Pour lui, comme pour Sénèque, “l'homme est une chose sacrée pour l'homme". Il sacralisait tellement l'homme qu'il répugnait d'insister sur quoi que ce soit avec lui. Même quand il avait besoin d'une chose, je ne l'ai pas vu se répéter trois fois. Une règle de vie ? Oui. Loin de l'esprit sangsue, l'esprit marketing qui oblige à faire la serpillière pour des clopinettes. La main qui donne n'est-elle pas supérieure à celle qui demande ? Abdou était un homme qui donnait. De son temps, de son argent, de son cœur. Il n'a rien quémandé à la vie. La mort est venue pour le prendre. Il ne s'est pas enfui. Il a tout eu de la vie : le talent, la reconnaissance de ses pairs et l'amour de sa famille. Que demander de plus ? Lui qui aimait tant le cinéma est parti en nous laissant le très beau film de sa vie dont il fut le grand réalisateur et le superbe acteur. Un très beau témoignage d'une vie d'Algérien debout... . H. G. [email protected]