Je n'ai pas encore trouvé un seul diplomate qui médise, ne serait-ce que d'un mot, ou même d'une moue de Hocine Djoudi. Qui est-il cet homme dont le nom seul impose le respect quand il ne provoque pas la nostalgie ? Il fut un grand diplomate par vocation et non de carrière comme certains qui choisissent la diplomatie pour se remplir les poches en devises alors qu'ils prennent Kissinger pour un chanteur, Maeterlinck pour un écrivain et Mazarin pour Mazarine, la fille de Mitterrand. Exagéré ? Si seulement ! Rions à défaut de pleurer. Je les ai connus à l'étranger ces diplomates ventripotents qui n'ont comme seule religion, comme seul objectif, que le pèze, la binga, yemmahoum, l'oseille. Tout le reste ils s'en tapent le coquillage. Tout cela pour montrer le fossé entre ces carriéristes et Hocine Djoudi, qui a occupé tous les postes : ambassadeur en Espagne et en France, représentant permanent de l'Algérie auprès de l'ONU, pour finir secrétaire général. Mais quel secrétaire général ! Il y avait en lui du Talleyrand, mais un Talleyrand moral par la profondeur de ses analyses et son urbanité. Quand les autres petits diplomates aux costumes scintillants comme des robes de danseuses du ventre éructent et déblatèrent à n'en plus finir, avec l'accent du dernier pays où ils étaient en poste, Djoudi écoute avec attention son interlocuteur, fut-il profane en diplomatie, avant de lui répondre comme s'il était son égal dans ce domaine. Pour l'avoir rencontré il y a quelque temps en tête à tête pendant environ deux heures, je ne l'ai pas entendu émettre une seule critique sur le ministre algérien des AE. Et même quand je lui parlais de sa retraite, que je jugeais anticipée et cruelle pour la diplomatie algérienne, orpheline d'hommes comme lui, il ne dit pas un mot sur l'homme qui, au lieu de le nommer ministre des AE comme beaucoup d'observateurs l'attendaient, l'a mis en retraite : Bouteflika. Toujours est-il que Hocine Djoudi accepta son sort sans un mot ni une plainte. En homme d'Etat, il adopta l'attitude la plus noble : never explain, never complain. Il n'a eu ni aigreur -cette maladie des ratés- ni rancune -ce mal des ruminants-, il est tout indulgence et magnanimité. Retraité, il occupe un modeste appartement où il est pleinement heureux. Il lui suffit de peu pour être en harmonie avec lui-même : sa famille, quelques amis, beaucoup de livres et de la musique pour l'ivresse qu'elle lui donne. Le bonheur pour lui n'est pas une question de matériel, mais de plénitude intérieure. Sa philosophie a toujours été de vivre chaque jour comme s'il était le dernier, en s'attachant aux valeurs et aux sentiments et non à courir derrière l'argent et la gloire. Ce sont eux qui ont plutôt couru derrière. Parce qu'il avait la vision de la grandeur de l'Algérie. D'une certaine manière, Hocine Djoudi est un sage puisque ni la gloire ni les honneurs ne l'ont corrompu. À quatre-vingts ans, il est un encore un jeune homme à la formidable expérience qui me fait penser à la pépite de Sénèque : “Les fruits ne sont vraiment beaux que quand ils sont mûrs.” On n'est pas vieux par l'âge, mais par le cœur. C'est son exemple qui nourrit aujourd'hui beaucoup de diplomates et d'Algériens de divers horizons, qui le regardent comme une référence. On peut être un grand commis de l'Etat sans vendre son âme au diable. Sans se couper de ses racines. En gardant la tête toujours haute quelles que soient les circonstances. C'était là l'enseignement de son père. Il a su s'en montrer digne. H. G. [email protected]