Les sunnites irakiens cherchent leur “printemps" et se retrouvent avec un allié inattendu, le chef politique chiite Moqtada Al-Sadr ! L'Irak est miné par des affrontements confessionnels entre chiites et sunnites qui ont tourné à la guerre civile sans issue. Le retrait américain dans la nuit du 21 décembre 2011 a exacerbé les divisions inter irakiennes que la reconduction, dans des conditions pas nettes du Premier ministre chiite, Nouri Al-Maliki, lors des élections législatives de 2010, a encore élargies. Celui-ci avait pour mission stratégique de fermer les plaies de huit années de présence américaine grâce à un gouvernement d'union nationale. Mais Al-Maliki n'a pas mis en réserve ses propres ambitions, d'une part en isolant la principale formation sunnite, le bloc Iraqiya, et en provoquant les kurdes, d'autre part pour agiter le spectre de la scission. Un an après que les GI's et Marines aient plié bagages et que ceux qui sont restés en Irak soient consignés dans leurs casernement, les tensions confessionnelles se sont exacerbées et les attentats meurtriers se multiplient. Les tensions entre le pouvoir central et la zone autonome du Kurdistan sont plus vives que jamais. Depuis deux semaines, le pouvoir du Premier ministre est menacé par une révolte dans les provinces sunnites. La communauté sunnite, qui accuse Maliki de mener une politique sectaire et discriminatoire, multiplie les manifestations à l'appel d'un “printemps irakien". Un appel auquel s'est rallié le chef politique chiite Moqtada Al-Sadr ! Pierre-Jean Luizard, spécialiste de l'Irak, explique ce retournement de situation au sein des chiites par l'effet boomerang du plan concocté par Al-Maliki lui-même. Après les élections de 2010, qui l'ont reconduit à la tête du gouvernement, Al-Maliki a cherché à remplacer le partenariat chiito-kurde qui lui a permis d'asseoir son pouvoir par un autre partenariat, chiito-sunnite. Son alliance avec les Kurdes n'a pas duré avec la détermination de cette communauté de s'extraire de l'improbable nation irakienne en renforçant leur autonomie. L'effacement politique du président Jalal Talabani, hospitalisé fin décembre après une attaque cérébrale, a précipité cette évolution : il n'y a plus ce rôle de médiateur entre Bagdad et les Kurdes que Talabani jouait. Les institutions bricolées par les Américains n'ont pas survécu. L'Irak post Saddam qui a été monté en 2003 l'a été non pas sur la base de la citoyenneté mais sur des appartenances confessionnelles (chiite, sunnite) et ethniques (arabe, kurde) et le système politique a été conçu pour satisfaire des partis politiques dont les bases étaient purement communautaires, en fixant des quotas à la libanaise. Or, contrairement au Liban, où le confessionnalisme est inscrit dans le marbre, en Irak il est inavoué. Les institutions ont été alors démultipliées par trois, que ce soit au niveau de la présidence, avec un président kurde et deux vice-présidents sunnite et chiite, du poste de premier ministre, qu'au Parlement ou dans l'octroi des différents ministères. Cette répartition s'est faite en fonction du poids électoral de chacune des communautés et donc de leur poids démographique. Et aux rapports de forces de changer en fonction du jeu communautaire du moment, comme le récent rapprochement entre les chiites de Sadr et les sunnites. Reste que la crise a été amplifiée par Nouri Al-Maliki qui a essayé de jouer avec les sunnites puis avec les Kurdes, en faisant planer la suprématie démographique chiite. Au lieu de rapprocher les communautés, sa tactique a fait resurgir les clivages confessionnels qui ont vite repris le dessus. Les sunnites lui reprochent d'agir de façon autoritaire, d'avoir fait main basse sur de nombreux secteurs (Justice, Banque centrale, presse) et de marginaliser leur communauté. Le Premier ministre a abusé du système judiciaire contre les dirigeants sunnites, comme des proches du ministre des Finances sunnite Rifaa Al-Issawi et, avant lui, le vice-président sunnite Tarek Al-Hachémi, obligé de fuir Bagdad. Incapable de construire l'Etat de droit, Al-Maliki convoque des élections anticipées. Cette fois, il joue sa tête car sa majorité dépend du bloc sadriste de Moqtada Al-Sadr qui affiche son soutien aux sunnites. D. B