Le drame de la justice algérienne, souvent accusée d'être dépendante, n'est plus un secret pour personne, certes. Mais, pire, elle est de plus en plus décriée, y compris par des personnalités réputées proches du pouvoir. C'est le cas, entre autres, de Me Farouk Ksentini qui est revenu encore une fois, hier, lors du Forum de Liberté, pour qualifier les magistrats ouvertement d'“irresponsables" ! “En dépit de tous les efforts consentis, il faut reconnaître que nous avons encore une justice de très mauvaise qualité, une justice approximative", a asséné, en effet, le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (CNCPPDH), estimant que les magistrats sont les premiers responsables de cette situation. “En Algérie, il y a environ 5 000 magistrats. Parmi ces derniers, il y a ceux qui sont courageux et d'autres qui ne pensent qu'à leur carrière", a-t-il fulminé. Pour Me Ksentini, “un magistrat ne doit pas se conduire comme un domestique" car le métier “doit répondre à une certaine déontologie, à une certaine éthique, une responsabilité particulière. Or, dans le contexte national actuel, le comportement de certains magistrats relève carrément de l'irresponsabilité". Ce comportement, ajoute-t-il, est davantage encouragé du fait que le magistrat reste un des rares responsables à ne pas rendre compte de ses actes. “Les magistrats jouissent d'un statut qui n'est soumis à aucun contrôle ; c'est l'impunité totale", a-t-il regretté. “Pourquoi les journalistes, les avocats, les médecins sont tous comptables de leurs actes devant les instances civiles, administratives et juridiques, mais jamais les magistrats ?" s'interroge-t-il. Certains magistrats, une minorité, selon Ksentini, bâclent plusieurs affaires rien que pour s'en débarrasser et ne se soucient donc guère des droits des justiciables. Pour Me Ksentini, les décisions prises au cours des dernières années, visant l'amélioration de la situation socioprofessionnelle des magistrats à même de les mettre à l'abri de la corruption, sont au contraire faites pour les fragiliser davantage. “Plus le magistrat est mieux payé, plus il a peur pour sa place", juge-t-il. L'autre reproche fait par Me Ksentini à la justice algérienne est relatif à “l'abus" dans la pratique de ce qui est désigné par “la détention provisoire". Or, précise l'avocat, cela s'appelle “détention préventive". Rappelant que cette pratique fait l'objet de dénonciation depuis déjà quelques années, Me Ksentini s'interroge sur les raisons qui font qu'elle soit encore pratiquée. C'est vraiment “un des mystères de la justice" que Me Ksentini ne semble pas en mesure de comprendre. F A