Exit le temps où les familles qui avaient une fille à caser étaient jugées sur leur degré d'urbanité, la qualité de leurs gâteaux et de leur vaisselle et leur façon de dresser une table. Elles étaient alors classées par les marieuses de métier, soit dans la catégorie des hdar, soit dans celle des ouroubia, c'est-à-dire sans aucune culture de la bienséance et de la cité et même sans culture du tout. Dans cette future quête de la “n'soubia", le parler constituait pour ces professionnelles un indicateur important qui renseignait sur le statut social de ces familles et un curseur qui les séparait définitivement. Par expérience, ces négociatrices se sont rendu compte que les hadriate, sans doute pour faire bonne impression, utilisaient souvent une langue affectée, lisse, sans arête, en évitant au maximum les mots qui blessent et qui écorchent les oreilles, comme par exemple j'bel (la montagne) ou cayidar (le mulet), et que les ouroubia parlaient au contraire un langage vrai, cash, sans fioritures, même s'il sentait l'étable ou le douar, mais en gardant toujours à l'esprit que seul le travail pouvait faire bouillir la marmite. Et comme les temps ont changé et que toutes les classes ont fini par être nivelées à l'épreuve du temps et de la promiscuité, les jeunes hadriate ont été contraintes aujourd'hui de mettre un bémol à leurs prétentions. Elles n'exigent plus de commerçants friqués pour partager leur vie, ni même un cadre dans la houkouma, mais des hommes qui savent se battre et se faire une place au soleil, quels que soient leur accent, leur origine et le tatouage de leur vieille mère. M. m.