Ceux qui, hier dans les rues d'Alger, du Caire et de Beyrouth, le cœur rempli de haine et de noirceur, ont tiré sur l'art, la beauté, la lumière et la raison, continuent à semer la terreur aux quatre coins du monde. Ceux qui hier ont assassiné Alloula, Djaout, Medjoubi, Mekbel, Bousebci, Elyabes, Belkhenchir, Youcef Sebti, Bekhti Benaouda..., aujourd'hui, dans la ville syrienne de Maârat al Nouamane, dans le nord-ouest de la Syrie, ont tranché la tête d'Abou el Alaa El Maâri. Ceux qui hier, le cœur chargé d'animosité, ont tué le sage Houcine M'roua, cheikh Sobhi Saleh, le philosophe Faradj Fouda, le poète et politologue Mehdi Amel... ceux qui ont tiré sur le prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz, aujourd'hui, ce sont les mêmes démons qui ont tranché la tête de Taha Hussein. La raison fait peur aux ennemis de la lumière. Les créatures des ténèbres. Si la nature a privé ces deux rationalistes arabes, el Maâri et Taha Houssein, de la vue, ils ont traversé la vie en aveugle, elle leur a, en contrepartie, offert la force de la raison afin de voir plus loin, plus profond. Les visionnaires à travers toute l'Histoire arabo-musulmane étaient marginalisés, voire menacés et condamnés par les forces des ténèbres! Clin d'œil à El Halladj ! Abou el Alaa el Maârri est mort en 1057, depuis sa tombe dans sa petite ville Maârat al Noumane, à une distance vertigineuse de 10 siècles, avec ses idées d'illumination, l'auteur de “Risalat al Ghofrane" ou “l'Epître du Pardon" continue à faire peur aux fanatiques et aux salafistes wahhabites en cette ère du Discovry. Acharnés contre sa pensée libre, les fanatiques ont décidé de couper la tête de la statue de El Maâri. Tentant de le perturber dans sa quiétude tombale, dans l'au-delà ! Un geste barbare qui n'est que le signe de la malédiction historique qui frappe, de plus en plus, le monde arabo-musulman. Si en Syrie, le sort du maître de la pensée libre El Maâri est dramatique, celui de Taha Hussein, en Egypte, n'est pas non plus meilleur. Les sangsues religieuses, et en signe de la sauvagerie et de la terreur, ont coupé la tête de la statue de l'auteur de deux livres, les plus polémiques dans l'histoire de la pensée littéraire arabe moderne du XXe siècle : “Fi Echchiir el Jahili" (à propos de la poésie antéislamique) et “Moustakbal attakafa fi Misr" (l'avenir de la culture en Egypte). Les fanatiques mènent une guerre aveugle et sanguinaire contre toute lumière dégagée par les acteurs vivants de l'art et de la littérature. Contre les lumières qui nous parviennent du fond des temps projetées par les faiseurs d'Histoire. Même les morts, les vrais morts, dérangent la barbarie. En jeune écrivain, Taha Hussein (né en 1889), depuis ses premiers écrits qui remontent au début du XXe siècle, a tissé une relation intellectuelle et psychologique exceptionnelle avec son maître El Maâri. Ainsi il lui consacra trois livres. Cette fusion cérébrale entre les deux écrivains n'est que la célébration de la raison et la défense de la liberté de la pensée humaine. Fasciné par les idées éprouvées et par l'audace intellectuelle de El Maâri, Taha Hussein se voulait une sorte de continuité dans cette logique rebelle et casseuse de tabous religieux et politiques et dont les pères fondateurs furent el Mu'tazila. La guerre est, de plus en plus, accrue contre la pensée libre. Atroce contre le peu qui reste de la raison dans ce monde arabo-musulman. El Maâri est décédé en 1057 et Taha Hussein en 1974, même si dix siècles séparent les deux lumières, aujourd'hui, ils se trouvent face à un destin tragique et identique, subissant les mêmes agressions. Leurs têtes valent dix siècles de lumière perdue. A. Z. [email protected]