C'est l'histoire d'un journaliste traqué par son rédacteur en chef qui prenait mille et un détours pour lui refuser des comptes rendus amers sur les réalités dans lesquelles se trouvait la société dans les années finissantes du tout Etat. Abderrahmane Yefsah dresse ainsi le profil d'un journaliste qui ne veut pas se laisser aller à des croisières de plaisir par la plume. Le rédacteur en chef du média étatique (cela pouvait être la télévision ou le journal ou même les deux à la fois) n'acceptait que les “papiers" plaisants, appelés aussi des papiers positifs. Il ne tenait surtout pas à contrarier ses chefs et garde en sa mémoire les élections à candidat unique. En ce temps, il fallait annoncer avec tambour battant, trompette et machin chouette un 99 % de oui. Surtout ne jamais parler du chômage, des grèves, des résultats négatifs dans la gestion des Sona... en tout genre, ne pas remettre en cause l'industrie non industrialisante enfin dire que tout va bien et Dieu merci. Puis arrive l'ère de l'intégrisme religieux fabriqué à l'école de la République. Le journaliste bute une fois de plus sur le même rédacteur en chef qui lui refuse de relater les violences que les islamistes commettaient sur une population abandonnée. Ses comptes rendus étaient jugés trop compromettant pour ne pas dire trop dangereux pour le journal. Ils passaient tous à la poubelle. “Il avait beau lire et relire, il (le rédacteur en chef) n'avait pas où s'accrocher. Il ruminait intérieurement une déception qu'il allait transformer en punition..." Celle d'éloigner le journaliste récalcitrant sous le couvert d'une mission dans l'immense et lointain sud du pays. Mais plus encore, écrit Yefsah : “De retour au bureau, j'eus toutes les peines du monde à finir mon papier sur les massacres de la veille... les gens (les témoins), sans doute par peur, ne voulaient rien dire. L'homme de plume est regardé de la même manière que le policier ou le gendarme, alors que pour les services de sécurité, nous étions (les journalistes) ceux qu'il fallait éviter à tout prix. Des confrères ont été jetés en cellule sans aucune forme de procès pour avoir fait leur devoir d'informer le citoyen". Cette criminalité dans laquelle avait sombré le pays est, pour l'auteur, l'héritage logique du zaïmisme et ses éliminations physiques, pratique qui remontait déjà à l'époque du nationalisme. Qu'à cela ne tienne, le journaliste continue sa lutte pour, écrit l'auteur, “éviter la fatalité de la régression programmée depuis des décennies". En cela et aux côtés de l'ambiance baignée de terreur, de peur et de lâcheté, Abderrahmane Yefsah lui fait jouxter une histoire d'amour comme pour marquer une note d'espoir, un optimisme même seulement effleuré et fragile. Il reste que le roman pose l'énigmatique “fraternité" criminelle plaquée dans le titre. Le roman “... et Caïn tua Abel", édité à compte d'auteur, est écrit sur le cruel d'une profonde blessure. A. A.