Dans les précédentes chroniques, j'avais écrit que le Commmando Djamal, au terme de sa mission en Wilaya VI, avait rejoint, en août 1959, sa wilaya d'origine, la Wilaya IV. Arrivés en zone 3, nous devons rejoindre les membres du Conseil de la wilaya auxquels je dois rendre compte du déroulement de la mission du Commando en Wilaya VI, mission qui dura près de sept mois. A Tkadert, je rencontre les commandants Si Salah et Si Mohamed qui étaient en mission de contrôle. Depuis la mort du colonel Si M'hamed, survenue le 5 mai 1959, le Conseil de wilaya se limitait à ces deux responsables. Je leur fait un long exposé en détaillant toutes les étapes de notre séjour en Wilaya VI et les événements qui s'y sont produits. Je réponds aux nombreuses questions de nos responsables. Les commandants Si Salah et Si Mohamed félicitent le commando pour le travail accompli et nous félicitent aussi pour avoir conduit le Commando depuis la Wilaya VI jusqu'à son point d'attache, la zone 3 en Wilaya IV, sans avoir subi des pertes substantielles, durant ce long périple. Au moment de prendre congé, Si Mohamed m'ordonne de sillonner toute la zone afin que les populations des déchras revoient le Commando et ceci dans le but de démentir et contrer la propagande ennemie qui avait répandu, en notre absence, des tracts annonçant la disparition du Commando et son anéantissement par l'armée.Avant d'entamer notre tournée, nous intégrons, au sein du Commando, quelques djounouds de la katiba Hassania pour étoffer le Commando et suppléer aux pertes subies. Nous parcourons la région 2 et marquons des haltes à Beni Bouattab, N'hahela, Beni Boussetour, Miliana, Tafrent, Bouadham et dans d'autres dechras. Les populations sont contentes de nous revoir. Nous traversons la route Molière (Bordj Bounâama) - Orléansville (Chlef) et pénétrons en région 1, le cœur de l'Ouarsenis. Partout, à Larbâa, Ouled El Mabane, El Arayes, Tchoualab, Ouled Ali, Sidi Amar, Shanine, Khbabza, Sfiyat, Assoulat, etc., c'est le même enthousiasme, le même accueil chaleureux et sincère. Les djounoud, les moussebiline, les habitants des dechras sont heureux de revoir notre katiba. Notre présence parmi eux les réconforte. Plusieurs djounoud du Commando sont originaires des boccas où nous faisons des haltes. Nous leur accordons des permissions et les gratifions de modestes sommes d'argent. En cette année 1959, les populations ont connu des moments très durs, les pires moments de la guerre. Partout où nous passons, nous constatons les traces et les stigmates de la fureur ennemie. La machine de guerre française s'est livrée à un véritable massacre de l'homme et de la nature : des dechras détruites, d'autres vidées de leurs habitants, des forêts incendiées... Animée d'un ardent désir d'en finir avec la Révolution, l'armée française a mobilisé d'énormes moyens, une impressionnante logistique pour anéantir les katibas de l'ALN, détruire ses bastions, soumettre les populations. C'est le fameux plan Challe ou la grande offensive décidée par le général de Gaulle. Une force de plus de 50 000 hommes, composée d'unités d'élite, les “réserves générales", appuyées par l'aviation, des hélicoptères, avançait, tel un rouleau compresseur, d'ouest en est, d'un barrage à l'autre, balayant successivement toutes les wilayas. L'offensive commença, en wilaya V, dans l'Oranie, par l'opération “Couronne" (6 février-6 avril 1959), continua en wilaya IV, par l'opération “Courroie" (18 avril-18 juin 1959) touchant l'Ouarsenis et les montagnes de l'Algérois. Le général Challe s'enorgueillit d'avoir réalisé 200 km de pistes, construit 36 postes militaires dans l'Ouarsenis. Le plan Challe, poursuivi par ses successeurs, les généraux Crépin et Gambiez, touchera les autres wilayas, par l'opération “Etincelles" dans le Hodna, “Jumelles", en wilaya III, “Pierres précieuses" en wilaya II, etc. Ces opérations ont été accompagnées de vastes plans de déplacement des populations qui étaient regroupées, à proximité des cantonnements militaires, dans de véritables camps de concentration où le quotidien des masses déplacées était fait de faim, de froid, de brimades, d'humiliations, de maladies, etc. De vastes territoires ont été déclarés “zones interdites", où toute personne s'y aventurant est tuée.Après le passage des unités d'élite, le plan Challe déroulait une autre phase: créer dans chaque secteur un ou plusieurs “commandos de chasse", unités légères, entrainées et rompues à toutes les ruses et stratagèmes de la guérilla. Commandés par des officiers français, comprenant de nombreux musulmans, harkis, ralliés, ces commandos devaient détecter les unités de l'ALN, repérer les refuges, les PC, suivre les agents de liaison, collecter des informations, etc. Ce sont des “têtes chercheuses" qui sont en contact permanent avec les unités du secteur et bénéficient du soutien des troupes locales. Dès qu'un objectif est signalé ou qu'une unité de l'ALN est “accrochée", l'armée française dépêche l'infanterie, engage l'aviation et déverse des renforts héliportés. Les commandos de chasse qui ont sévi dans l'Ouarsenis et que l'ALN a souvent affrontés, ont pour nom Guillaume3, Maurice, Touré. Malgré l'ampleur des moyens employés par l'ennemi, l'Ouarsenis tient bon et résiste vaillamment. Certes, l'ALN a enregistré des pertes, de même que les populations qui ont subi les fréquents bombardements meurtriers de l'aviation. Mais de nombreuses déchras ont pu éviter la nasse. Les populations ont reconstruit leurs maisons et les refuges. Leur organisation a été reconstituée. La résistance de l'Ouarsenis a obligé le commandement français à récidiver en 1960 quand il a déclenché une autre offensive de grande ampleur, connue sous le nom d'opération “Cigale" (24 juillet- 24 septembre 1960).Après notre “randonnée" en région 1, nous rejoignons la région 4. A Amrouna, nous retrouvons Si Mohamed qui confie au Commando Djamal une autre mission, celle de mener des actions de “fida", de harcèlement de centres urbains et de cantonnements situés dans plusieurs endroits de la zone et dans la plaine. Le but de ces actions est de desserrer la pression ennemie exercée sur les maquis.Pour mener ces opérations, nous choisissons des éléments qui connaissent bien les lieux où ils doivent opérer. Trois groupes sont constitués auxquels les objectifs ont été fixés: Marbot (Bordj Emir Khaled), TenietEl Had, Oued Fodda, Orléansville (Chlef) et Duperré (Aïn Défla). Avec les responsables locaux, chaque groupe devait identifier les cibles et exécuter plusieurs attaques et actions. Avec le reste des membres du commando et dans l'attente du retour des groupes envoyés en opération, nous nous cantonnons à Ta'm Sma et occupons une crête qui a vue sur le barrage de Agbet Mali (Oued Fodda). Nous profitons de cette pause et nous mettons en place un service de renseignements, dirigé par Saïd Bouraoui. Il a pour mission d'indiquer des objectifs militaires au commando, en s'appuyant sur les responsables chargés du renseignement au sein des états-majors des régions et des secteurs et en exploitant les informations fournies par les militants. Il faut noter que, dès son retour en zone 3 (août 1959), notre katiba s'est dotée d'une certaine autonomie. Elle avait son responsable de l'intendance (moumaouan) qui veillait à constituer des stocks dans tous les merkez où nous nous arrêtions. Notre moumaouan Ahmed Seghir (Embarek Ahmed) s'acquittait de sa tâche de façon admirable. Il nous précédait souvent et préparait notre arrivée au merkez. Nous ne prenons pas de guide pour nos déplacements, car nous connaissons parfaitement les itinéraires que nous devons emprunter du fait que plusieurs membres du commando sont des recrues originaires des boccas et dechras locales. Ce mode d'organisation et de fonctionnement nous était dicté par devoir de vigilance. L'ennemi a appris que le commando était de retour. Il nous impute toutes les actions qui sont exécutées ; il tente, lors de ses sorties de ratissage, de recueillir auprès des populations civiles toutes les informations sur nos déplacements, sur nos haltes qui lui permettraient de nous repérer, de nous localiser afin de déclencher une opération contre nous. Notre arme était, d'abord, le secret puis notre grande mobilité. Notre manière d'agir n'est pas partagée par les responsables de la zone 3, Hadj Tahar, le lieutenant politique, et Boualem, le lieutenant militaire. Ils font part de leur sentiment au Conseil de la wilaya qui les convie à nous laisser agir. Avant de quitter notre position que nous occupons à Ta'm Sma, nous accrochons une compagnie ennemie, en fin de journée. L'accrochage dure environ trente minutes. Aucune perte dans nos rangs. En septembre 1959, le Conseil de wilaya me confirme comme chef du Commando Djamal, avec le grade de sous-lieutenant. Les groupes qui ont été envoyés vers les faubourgs des centres urbains et la plaine nous rejoignent en région 1. Ils ont réussi, pour la plupart, de bonnes actions. En octobre 1959, le Commando Djamal est à Ouled El-Mabane, bastion de l'ALN. Un objectif est en vue : un poste militaire. O. R.