À voir les réactions totalement hostiles des leaders chiites irakiens à l'éventualité de l'instauration d'une fédération en Irak, il y a lieu de s'interroger sur un règlement rapide de cette crise. Ainsi, les propositions américaines visant à avancer dans ce processus, à l'exemple de l'organisation d'un suffrage indirect pour désigner les instances qui seront chargées d'assurer la transition, avec l'accord du conseil du gouvernement transitoire conformément à l'accord de novembre dernier, sont totalement rejetées par les chiites. Dans cet ordre d'idées, le grand ayatollah Ali Sistani, par la voix de son représentant, le cheikh Abdel Mahdi Al-Karbalaï, a menacé d'avoir recours à des manifestations et des grèves, voire même utiliser la force contre l'occupant si “les plans coloniaux définissant la politique du pays” ne sont pas reconsidérés. Dignitaire chiite le plus prestigieux, Sistani, qui est très écouté au sein de cette communauté religieuse, affirme qu'il n'hésitera pas à faire tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher la “confiscation des droits du peuple irakien”. L'on se dirige tout droit vers une confrontation entre les coalisés et l'exécutif irakien d'un côté et les chiites de l'autre, car Sistani est soutenu dans sa position par le jeune imam radical Moqtada Sadr de Koufa qui verse dans le même sens en appelant à l'unité du peuple irakien. Il a dénoncé le projet d'une fédéralisation de l'Irak, comme le souhaitent les Kurdes. Selon lui, “le fédéralisme ne conduira qu'à la division de l'Irak”. Il compte envoyer des émissaires chez ceux qu'il a appelés “les Irakiens du nord”, pour les dissuader de continuer dans cette voie. Les Kurdes, quant à eux, réclament un statut d'autonomie du Kurdistan en vigueur depuis 1991 et exigent un Irak fédéral. C'est dire que les positions sont très éloignées les unes des autres et rien n'indique qu'une issue est proche. Les chiites, très conciliants jusque-là avec l'occupant américain depuis l'invasion de l'Irak en mars dernier, radicalisent leur position vis-à-vis des Américains et du Conseil du gouvernement transitoire. Ils se disent prêts à une confrontation avec les forces d'occupation si jamais cette option n'est pas écartée. Si les chiites vont jusqu'au bout de leurs intentions, l'Irak, déjà en proie à une violence quotidienne du fait des actions de la résistance attribuée aux sunnites, sera alors mis à feu et à sang. À la lumière de ces développements, l'espoir d'un retour au calme en Irak s'éloigne de plus en plus. L'embrasement général est à craindre si les Américains ne prennent pas en considération l'avis de toutes les communautés dans les plans de règlement de la crise. L'administrateur civil américain de l'Irak, Paul Bremer, n'a toutefois pas manqué de réagir à la menace de l'ayatollah Sistani en déclarant qu'“ils étaient prêts à considérer des affinements” à l'accord du 15 novembre dernier avec l'exécutif irakien et qu'“ils étaient prêts à en discuter au moment opportun”. On en saura davantage sur la position de la maison-blanche après le retour à Bagdad de Paul Bremer, actuellement en visite à Washington pour faire le point de la situation avec Bush et ses principaux collaborateurs. K. A.