Paul Bremer prend contact avec le Golfe par une tournée à Doha. Ayant élaboré tout un plan de remise en marche du pays, les Etats-Unis ont pris les devants en présentant au Conseil de sécurité de l'ONU un projet de résolution dont la finalité n'est rien d'autre que, d'une part, de légitimer, a posteriori la guerre imposée à l'Irak, de légaliser, d'autre part, la future exploitation du pétrole irakien - que Washington estime lui revenir de droit - et enfin de mettre sur la touche l'ONU pour tout ce qui concerne l'Irak. D'une pierre trois coups! En effet, tel que présenté, le projet de résolution qui trace un plan à long terme pour la reconstruction de l'Irak, dans l'éventualité de son adoption, constituerait un suicide pour l'organisation internationale qui accepterait, ainsi, de se défaire de ses prérogatives au bénéfice des Etats-Unis, à celui de l'Empire américain en ébauche. Des pays, comme la France, qui tient toujours à ce que le rôle «central» de l'ONU soit clairement établi, ont émis des réserves sur le projet américain. Ce qui promet des débats sans doute tumultueux au Conseil de sécurité. D'ores et déjà, il apparaît certain que le projet risque de ne pas être adopté d'ici au 3 juin, date (butoir?) fixée par Washington. Au moment où, au siège de l'ONU, les coalisés tentent de faire adopter, sans changements, leur projet de résolution, le Golfe s'apprêtait à recevoir le nouvel homme fort de Bagdad, Paul Bremer, l'administrateur en chef pour l'Irak, désigné par le président Bush. Spécialiste des situations de crise et du contre-terrorisme, Paul Bremer a débuté sa tournée des popotes dans le Golfe par une visite à Doha, au Qatar, où se trouve le commandement central américain, dirigé par le général, Tommy Franck. Une première prise de contact pour le nouvel homme fort de l'Irak, qui sera aujourd'hui au Koweït avant que de rejoindre son nouveau poste à Bagdad. Dans la capitale irakienne, c'est encore le flou tant pour ce qui est de l'introuvable gouvernement de transition, toujours en discussions-négociations entre les différentes factions irakiennes, que des attributions dévolues au nombreux personnel américain et britannique ayant afflué en Irak. Il est déjà établi que chaque poste de responsabilité aura pour titulaire un Américain, ou un Britannique, lesquels seront secondés par un ou des Irakien (s) «de service», sans doute dans l'optique de ne pas braquer davantage, qu'il n'est nécessaire, une population qui ne comprend toujours pas où veut en avenir le «protecteur» américain. Il est avéré, maintenant, que la présence américaine en Irak se prolongera dans le temps, à en croire le secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, lequel affirmait, dans une de ses récentes déclarations, que Washington n'a pas fixé de durée à sa présence en Irak. Celle-ci pouvant aller, très certainement, au-delà des deux ans généralement présentés comme un temps indispensable à la remise en marche du pays. C'est vrai que passer d'un système basé sur des plans de développement triennaux et quinquennaux, à celui de l'économie des marchés n'est guère une sinécure. Cependant, il convient aussi de relever que les Américains entretiennent le flou sur ce qu'ils envisagent réellement pour l'Irak. Dans sa présentation du nouvel administrateur en chef, la Maison- Blanche indique sans autre précision, que Paul Bremer aura «la mission de superviser les efforts de reconstruction entrepris par la coalition et le processus visant à permettre au peuple irakien de construire les institutions et les instances gouvernementales qui guideront son avenir». Ce qui, strictement, n'engage en rien la puissance occupante américaine. En Irak, c'est le retour de l'ayatollah, Mohammed Baqer Hakim - rentré d'un exil en Iran de 23 ans -, qui fait l'événement. Le chef de l'Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (Asrii), principale formation chiite irakienne et influent membre de l'opposition, après son arrivée à Bassora, samedi, a entrepris un périple au cours duquel il visitera notamment les villes saintes de Kerbala et de Najaf, avant que de s'établir dans cette dernière. Partisan de l'érection d'une «République islamique» en Irak, l'ayatollah Mohammed Baqer Hakim semble avoir su nuancer ses revendications tenant, à l'évidence, compte de la réalité du terrain. Dans sa première sortie publique et son premier discours, le vieux leader chiite, sans s'adresser directement aux coalisés, affirmera néanmoins que «le peuple irakien est capable de bâtir un nouvel Irak sans l'aide d'un autre pays, capable d'assurer la sécurité. Ils doivent laisser l'Irak aux Irakiens». Se gardant bien d'évoquer la «République islamique», à laquelle il aspirait dans le temps, l'ayatollah Baqer Hakim fera l'éloge de la jeunesse et de la femme irakiennes, défendant un «Irak moderne» «fondé sur le principe de l'Islam» qui «accorde un rôle primordial à la jeunesse et à la femme». Ainsi, prenant également les devants, le vieil ayatollah, s'est-il mis dans l'air du temps, prononçant un discours «moderniste», en phase avec les changements intervenus en Irak, accordant même à la femme et aux jeunes leurs places dans la construction de l'Irak. Au moment où dans l'Irak post-Saddam Hussein, chacun essaie de se placer dans le nouvel échiquier, le «fantôme» de l'ancien dictateur, s'est manifesté à nouveau exhortant le peuple irakien à «faire des mosquées des centres de résistance». Mais il semble bien que les cavernes d'Ali Baba gardent encore jalousement leur mystère!