Le pari de booster ce qui est communément décrit par les Occidentaux, les pays arabes qui sont directement concernés et leur parrain, le Qatar, la “révolution démocratique arabe", n'aura pas été tenu. A cela divers raisons. D'abord et c'est le plus significatif, les hôtes du Forum, les autorités tunisiennes n'y ont pas mis du leur. Pas du tout. La police tunisienne a quadrillé la zone du Forum et des barbelés étaient dressés près des bâtiments publics dans la capitale. Et il n'y a pas que la situation chaotique pour expliquer de tels dispositifs. Tunis est certes pratiquement sous état de siège, mais les participants du Forum ont tout de suite remarqué que le gouvernement islamiste d'Ennahda n'avait pas l'intention d'approfondir son “printemps du Jasmin", surtout pas dans le sens de la philosophie de l'altermondialisme. Pas de démocratie sociale pour Ghannouchi et ses compagnons pour lesquels la charia reste la meilleure voie pour établir le pouvoir éternel qui garantit leur pérennité. Francisco Whitaker, tête pensante du FSM depuis sa naissance à Porto Alegre en 2001, a dû se contenter de ce sibyllin constat : “Ce premier Forum organisé sur terre arabe a été une injection d'énergie". Et pour expliquer l'échec du Forum, “Chico", s'est résigné à “les camarades tunisiens, confrontés à des difficultés dans leur pays"! C'est vrai que l'événement de portée mondiale a souffert de multiples insuffisances d'ordre organisationnel et logistique, ainsi que d'absence de médiatisation. A l'exception de la journée inaugurale, le FSM n'a pas réussi à séduire les médias. En outre, le Forum de Tunis n'a même pas eu son caractère festif traditionnel: l'esprit des Tunisiens étant ailleurs, aux indices du chômage, au laminage des classes moyennes et surtout aux menaces sécuritaires sur fond de manœuvres politiciennes des islamistes. La société civile tunisienne a été la grande absente, préoccupée par la “sauce avec laquelle l'islamisme entend la manger". Alter- mondialisme et islamisme seraient-ils si antinomiques ? A voir le peu d'engouement suscité dans le pays qui a donné le la des “printemps arabes" et qui a inauguré la mainmise des islamistes sur ces révolutions post-dictatures, la réponse coule de soi. La cuvée 2013 du FSM n'a pas également réussi à laisser une trace au niveau mondial malgré les efforts des altermondialistes soutenus par des mouvements sociaux et syndicalistes, lesquels se sont, par ailleurs, plaints de l'“avarice des donateurs internationaux". Cela dit, il y a eu quand même quelques moments forts. Bien que les organisateurs du FSM aient insisté sur l'aspect non-partisan de leur événement, des slogans politiques anti-islamistes et hostiles à la gouvernance d'Ennahda ont été scandés, et des documents ont été distribués appelant à faire chuter le second gouvernement post-Benali de l'islamiste Ali Laarayedh récemment établi. Mais le plus grand échec de ce 12e FSM restera son expectative sur la condition de la femme dans les pays arabes qu'il a survolée à son ouverture. Les altermondialistes devaient se pencher en particulier sur leur situation dans le monde arabe après les révolutions qui ont transformé la région depuis deux ans sur le plan politique. Hormis la mise en garde contre les velléités des islamistes de s'attaquer aux acquis des femmes en Tunisie, les femmes arabes sont restées sur leur faim, le communiqué final du Forum s'étant contenté d'un “rejet du capitalisme sauvage et de tout modèle de développement qui chosifie, marginalise, violente les femmes". La langue de bois, alors qu'était attendus non seulement les questions sociétales, économiques et politiques, mais aussi les thèmes très sensibles dans le monde musulman comme la sexualité. Le FSM, qui se veut le pendant social et syndical du Forum de Davos, la réunion annuelle du gratin économique et politique mondial, n'est pas parvenu à fixer le lieu où se tiendra son prochain sommet, normalement en 2015 ! “Il se fera là où il sera le plus utile et nécessaire", a indiqué “Chico", son président. Des altermondialistes de plusieurs pays ont déjà manifesté leur intérêt, notamment en Inde ou encore au Canada, mais aussi au Brésil, terre de prédilection du Forum social mondial. Quant aux pays arabes, ce n'est certainement pas demain qu'ils referont l'expérience des Tunisiens. Altermondialisme et régimes autoritaires fussent-ils maquillés par des procédures démocratiques, sont également antinomiques. Les autorités algériennes ont bien empêché des délégués algériens de rejoindre la Tunisie pour prendre part au Forum. D. B