Une série de déclarations récentes du ministre des Finances, M. Karim Djoudi, semblent indiquer que le gouvernement algérien tente de préparer le terrain pour un retour à plus de rigueur dans la gestion des excédents financiers et des ressources de l'Etat. La loi de finances complémentaire pour 2013, en préparation, sera-t-elle marquée, avant même l'échéance présidentielle de 2014, par une cure d'austérité ? Pour la première fois depuis plusieurs années, le grand argentier du pays a évoqué, jeudi 9 mai, en marge d'une séance de réponses aux questions des députés, l'hypothèse d'une baisse possible, et désormais probable pour beaucoup d'analystes, des recettes pétrolières. “En cas de baisse importante et confirmée des prix du pétrole, les recettes algériennes vont diminuer, et ce sont alors les dépenses de fonctionnement de l'Etat qui vont creuser le déficit public", a averti Karim Djoudi. Pour le ministre des Finances, la crise économique mondiale a provoqué “une baisse de la demande sur le pétrole, une forte constitution de stocks, principalement américains, et une offre additionnelle émanant d'autres sources d'énergie, tel le gaz de schiste". Ces trois paramètres, a-t-il précisé, font qu'il y a des effets attendus sur les prix du baril de pétrole, principale ressource de l'Algérie. “Ces effets doivent se traduire par une prudence plus grande en matière de conduite de la politique budgétaire". Dépenses d'équipement : “Limiter les projets ou les reporter" Une plus grande “prudence" qui nous oblige aujourd'hui à “être beaucoup plus nuancés sur les augmentations des salaires", a affirmé le ministre des Finances. Karim Djoudi se veut pourtant rassurant et précise que “le niveau actuel des salaires et des transferts sociaux, qui constituent ensemble l'essentiel des dépenses de fonctionnement, ne sera pas touché dans tous les cas''. En fait ce sont les dépenses d'équipement de l'Etat qui devraient d'abord faire les frais d'une éventuelle cure d'austérité. En cas de forte crise, le gouvernement va devoir, selon M. Djoudi, “limiter les projets ou les reporter. C'est sur les dépenses d'équipement que nous allons agir", avance le ministre, ajoutant que “s'il doit y avoir un impact très fort de la crise mondiale sur l'économie nationale, il est clair que nous avons un certain nombre de simulations, et nous avons aussi des réserves en termes de fonds de régulation qui nous permettent de couvrir le déficit". “Nous avons la capacité d'utilisation du fonds de régulation, une capacité d'endettement sur le marché interne, la possibilité de réduction d'un certain nombre de dépenses et d'un certain nombre de projets", a ajouté le ministre des Finances. L'emballement des importations sur la sellette L'emballement des importations, véhicules en tête, semble en outre commencer à inquiéter sérieusement les pouvoirs publics qui pourraient, dans ce domaine, annoncer prochainement des mesures plus restrictives. Au mois de mars dernier, la Banque d'Algérie avait déjà souligné le record historique de 48 milliards de dollars établi par les importations algériennes en 2012, en hausse de plus de 8%, et tiré par des importations de véhicules en pleine explosion. On espérait dans les milieux gouvernementaux que la tendance allait se calmer en 2013. Et bien pas du tout... c'est même tout le contraire qui s'est produit depuis le début de l'année. Les statistiques des douanes, qui sont encore toutes chaudes, indiquent que les importations ont encore augmenté au rythme considérable de 19% au cours des trois premiers mois de l'année en cours. Avec près de 13 milliards de produits importés rien qu'au premier trimestre, l'Algérie est en route vers une facture d'importation qui va crever largement le plafond des 50 milliards de dollars en 2013. Principales responsables de cette situation ? Toujours des importations de véhicules qui volent de record en record, et sont en augmentation de 41% au premier trimestre. Plus de 150 000 véhicules importés en 3 mois pour une facture de 2 milliards de dollars ! Un scénario catastrophe Pour le gouvernement algérien, la baisse sensible des excédents financiers, procurés par la rente pétrolière, qui vient d'être relevée au titre de l'année 2012 par la Banque d'Algérie, a été un premier signal d'alerte. Les résultats du commerce extérieur au premier trimestre 2013 indiquent, en outre, que cette tendance est en train de s'amplifier et pourrait se traduire par la disparition pure et simple de ces excédents financiers dès la fin de l'année en cours. Les évolutions récentes de notre commerce extérieur donnent ainsi de plus en plus de crédit aux scénarios d'avenir les plus sombres évoqués par nombre d'experts nationaux. Au premier rang d'entre eux, et pour ne citer que cet exemple, le think tank Nabni prévoyait, dans un rapport publié au début de l'année 2013, que “les réserves de change de l'Algérie (près de $190 milliards fin 2012) commenceront à baisser à partir de 2016, quand la croissance non contenue des importations et la baisse des exportations d'hydrocarbures nous mèneront à des déficits commerciaux structurels. Ces réserves de change risquent de s'épuiser autour de 2024, ce qui nous obligera à nous endetter pour financer nos déficits commerciaux". Pour Nabni, si les importations continuent à croître, cette tendance nous ramènerait à des niveaux de dette extérieure comparables à ceux atteints au début des années 1990 et qui nous ont forcés, à l'époque, à entreprendre des ajustements très douloureux sur le plan social. Sans un hypothétique renouveau de notre potentiel d'exportation d'hydrocarbures, cette perspective peu réjouissante est malheureusement probable si rien n'est fait. Une alternative à l'explosion de l'endettement extérieur serait alors une baisse drastique des dépenses de l'Etat, un plan d'austérité coûteux, une dévaluation du dinar pour juguler les importations, et une baisse brutale des subventions énergétiques. Ce scénario désastreux pourrait survenir dès le milieu des années 2020. Vers un virage économique ? C'est probablement la prise de conscience toute récente de cette menace par le gouvernement algérien qui pourrait être à l'origine d'un virage économique important marqué par le retours à une plus grande rigueur financière. Le projet d'augmentation prévue de l'allocation touristique (voir papier ci-dessous), une mesure dont le coût annuel est estimé à environ 2 milliards de dollars, a été sans doute la première victime collatérale de ce nouveau contexte financier et psychologique au sein de l'exécutif algérien. Karim Djoudi vient de déclarer, fin avril, qu'elle n'est plus à l'ordre du jour... Un première décision qui pourrait n'être qu'un signe avant coureur. Le virage évoqué et souhaité par de nombreux économistes et responsables algériens reste cependant fortement tributaire du contexte politique. L'éloignement de la perspective d'un nouveau mandat du président Bouteflika en 2014 pourrait ne pas être étranger à la remise en cause des largesses financières généralement associées à cette échéance politique. A contrario, l'hypothèse d'un 4e mandat d'un président “flambeur" au style et aux convictions populistes, très en phase avec l'euphorie provoquée au sein d'une grande partie de la population algérienne par près de 15 années de croissance des recettes pétrolières, ne fera que nous rapprocher des échéances les plus sombres. H. H. Nom Adresse email