Black-out sur l'état de santé de Bouteflika. Imbroglio juridique. Micmac politique. Tous les ingrédients d'une sortie de crise "consensuelle" sont en train de se mettre en place. Les chances d'une élection présidentielle, à la loyale, semblent compromises. Le black-out sur l'état de santé du président Bouteflika se fait plus pesant depuis deux semaines. "Les rares et laconiques déclarations du gouvernement (il va bien et se repose, il va bientôt rentrer) n'ont pas dissipé les interrogations", écrit Le Monde dans son édition de mercredi dernier. Le journal fait état de "discrets appels dans les rédactions parisiennes de chefs d'entreprise et de responsables politiques algériens pour tenter de s'informer sur l'état de santé du chef de l'Etat (...)". Dernier officiel en date à s'exprimer sur la question, le président du Sénat, Abdelkader Bensalah, qui a assuré, le 28 mai dernier, que "le président Bouteflika et l'Algérie se portent bien". Bouteflika ? On ne sait pas. L'Algérie ? Sûrement pas. Car, si d'apparence, l'Etat et les institutions fonctionnent "d'une manière normale", comme l'a certifié Abdelkader Bensalah, l'éventualité d'un déroulement "normal" de la succession semble, a priori, contrariée par divers paramètres d'ordre politique ou juridique. La succession face à l'imbroglio juridique L'article 88 de la Constitution dispose : "Lorsque le président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et, après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l'unanimité, au Parlement de déclarer l'état d'empêchement." Le président du Conseil constitutionnel, Tayeb Belaïz, étant un proche de Bouteflika, il pourrait être tenté de "faire de la résistance" pour permettre au clan présidentiel et à sa clientèle de faire valoir leurs desiderata dans le processus de la succession et de se mettre ainsi à l'abri de poursuites ultérieures ou de règlements de comptes. À supposer même que le "verrou Belaïz" saute, un transfert de pouvoir, tel que prévu par la Constitution, ne semble pas évident, estime un juriste. Dans le cas où l'état d'empêchement serait déclaré par le Parlement à la majorité des 2/3, après sa saisine par le Conseil constitutionnel, c'est le président du Conseil de la nation (Sénat) qui devrait assurer l'intérim du chef de l'Etat pour une période maximale de 45 jours. Si l'état d'empêchement persiste encore à l'issue de cette période, "il est procédé à une déclaration de vacance par démission (du président de la République, ndlr) de plein droit". (Art 88 de la Constitution). Le président du Conseil de la nation assume alors "la charge de chef de l'Etat pour une durée maximale de 60 jours, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées". (Art 88 de la Constitution). L'application de l'article 88 de la Constitution impliquerait donc, forcément, une période minimale de 105 jours durant lesquels Abdelkader Bensalah assumerait les fonctions de chef de l'Etat. M. Bensalah, d'origine marocaine, n'a pris la nationalité algérienne qu'en 1964. Or, la Constitution algérienne interdit à toute personne d'origine non algérienne d'accéder à de telles charges, rappellent les juristes. Certes, des juristes proposent une autre lecture de la Constitution, estimant que la nationalité algérienne n'est exigée expressément qu'à des candidats à une élection présidentielle. Une lecture qui n'est pas, toutefois, conforme à l'esprit de la Constitution algérienne, rétorquent d'autres experts en droit constitutionnel. Et, qui plus est, le Conseil de la nation, à moins d'une démission de Bensalah, ne pourra pas, légalement, interrompre son mandat et élire un nouveau Président. "En cas de conjonction de la démission ou du décès du président de la République et de la vacance de la présidence du Conseil de la nation", il reviendrait au... président du Conseil constitutionnel d'assumer les charges de chef de l'Etat par intérim. Et revoilà le "verrou Belaïz". Si Bensalah reste à son poste, il ferait alors office d'un second verrou. Ainsi, en théorie, nul ne pourrait suppléer une vacance du pouvoir. Même si Bouteflika venait à décéder ! L'imbroglio est total, inextricable. Bouteflika, dont on sait qu'il affectionne la fermeture du jeu politique, avait tout prévu. Il est vrai que la succession devait se dérouler selon une autre feuille de route, celle qu'aurait édictée la Constitution telle que révisée par ses soins. L'aggravation de son état de santé ne lui en a pas laissé le temps. La succession face au micmac politique Mais les contraintes et autres obstacles qui se dressent devant une succession normale sont aussi d'ordre politique. Car la maladie du chef de l'Etat intervient alors que le pays vit une situation politique inédite. L'Alliance présidentielle n'existe plus depuis le printemps 2012. Les deux partis du pouvoir, le FLN et le RND, n'ont pas de chefs élus et consensuels depuis la destitution de Abdelaziz Belkadem, pour le premier, et la démission d'Ahmed Ouyahia, pour le second. Quant à l'opposition, elle se résume désormais au RCD qui, quasiment combattu par le pouvoir depuis plus de dix ans, résiste et reste intransigeant sur ses revendications et constant sur son projet politique, et au MSP, le parti islamiste qui a basculé depuis les dernières législatives et, particulièrement, depuis que Abderrezak Makri a succédé à Abou Djerra Soltani. Le FFS, quant à lui, semble plus que jamais engagé dans un processus de normalisation, voire de rapprochement avec le pouvoir. Du coup, et alors que l'heure est à l'après-Bouteflika, les personnalités qui étaient "en réserve de la République" font un retour remarqué sur la scène politique. Par eux-mêmes, comme c'est le cas de l'ancien Chef de gouvernement, Ahmed Benbitour, qui a officiellement annoncé sa candidature aux prochaines présidentielles qui devraient intervenir, estime-t-il, "autour de décembre 2013" et non pas en avril 2014. Ou par d'autres, comme c'est le cas de Mouloud Hamrouche et d'Ali Benflis, également anciens Chefs de gouvernement, que l'ancien colonel du DRS, Mohamed-Chafik Mesbah, a inscrits sur sa liste de prétendants potentiels, les créditant même d'un bon score, même s'ils sont surclassés, et de loin, par ce "candidat" que nul n'attendait, l'ex-président Liamine Zeroual. Zeroual ou le chaos ? Invité lundi dernier au Forum de Liberté, Mohamed-Chafik Mesbah a fait une campagne en règle en faveur du prédécesseur de Bouteflika, estimant que Zeroual est seul capable de "mettre au pas le DRS et l'état-major de l'ANP". Une élection présidentielle ouverte et transparente est impossible à tenir dans le contexte national actuel, a-t-il soutenu, pour justifier l'option d'une période de transition de deux ans. Le clan présidentiel, mené par son "pivot" Saïd Bouteflika, avec l'aide de ses "baltaguias économiques", pourrait provoquer "une effusion de sang", a-t-il averti. L'Armée nécessitant, selon Mesbah, "une mise au pas", serait-ce cela qui donnerait au frère du chef de l'Etat cette nuisance dont il pourrait user pour imposer une succession telle que voulue par son clan ? La question est grave, très grave. L'ancien colonel du DRS ne l'a pas dit expressément, mais il l'a suggéré nettement : les quatorze ans de règne de Bouteflika n'auraient pas été sans effet sur l'ANP et sur la cohésion de sa chaîne de commandement. Certes, M. Mesbah relativisera bien son propos, au surlendemain de sa sortie au Forum de Liberté, mais le coup était parti. Le colonel du DRS à la retraite, qui s'exprimait en "politologue", en avait dit trop ou trop peu. Dans la mise au point qu'il a dû se faire à lui-même, il a tenu à assurer que l'ANP restait une institution forte et que le peuple algérien lui-même avait la "maturité" nécessaire pour faire face à toute situation. Du coup, la nuisance surdimensionnée de Saïd Bouteflika paraît n'être qu'une création de Mesbah qui en avait besoin pour faire avaler l'option Zeroual "seul capable de mettre au pas le DRS et l'état-major de l'ANP". Car, du même coup, il ne subsiste plus aucune raison d'appeler à une période de transition. Ainsi, au black-out entretenu sur l'état de santé de Bouteflika et l'imbroglio juridique "construit" pour empêcher une déclaration de vacance du pouvoir, s'ajoute ce micmac politique "élaboré" et saupoudré pour qu'au final s'impose une succession "consensuelle". Comme en 1999. Si la succession est donc ouverte, l'horizon semble toujours fermé. S. C. Nom Adresse email