Liberté : La situation financière du pays de ce premier trimestre 2013, marquée par l'instabilité du marché énergétique et le recul des quantités d'hydrocarbures exportées par l'Algérie, a provoqué un choc pour la balance des paiements extérieurs du pays, laquelle a connu une baisse substantielle. Quelles sont les perspectives économiques du pays à la lumière d'un tel constat ? Kamal Benkoussa : Je suis, pour ma part, très pessimiste quant aux perceptives économiques de notre pays. Lorsque sur les 73 milliards de dollars de revenus d'exportations 72 proviennent des hydrocarbures, on ne peut qu'être inquiet pour notre pays. En effet, l'Algérie est restée trop dépendante de ses hydrocarbures et il semble que nous ne sommes pas prêts à sortir de ce modèle d'économie rentière. Nous sommes restés très dépendants du reste du monde. Ces dernières semaines, nous avons constaté que la Chine commence à montrer quelques signes de faiblesse. Son modèle de développement basé sur un endettement public colossal pour financer des projets d'infrastructures peu rentables a aujourd'hui atteint ses limites. En effet, ces dernières années, les banques publiques chinoises ont prêté aux provinces et aux entreprises publiques l'équivalant de 300% du produit intérieur brut (PIB) chinois qui s'élève aujourd'hui à 7300 milliards de dollars. D'ailleurs, il y a quelques semaines, la Banque centrale de Chine a refusé de garantir quelques-uns de ces prêts, et certaines banques ont été obligées de faire défaut. Lorsque l'économie d'un pays aussi énergivore que la Chine montre des signes d'essoufflement, cela se traduit automatiquement par une baisse de sa demande de pétrole et donc du prix du baril. Cette tendance risque malheureusement de s'accélérer, et l'Algérie doit s'attendre à voir ses revenus d'hydrocarbures en dollars diminuer. Nos importations en dollars ayant considérablement augmenté ces dernières années (plus de 47 milliards de dollars) alors qu'elles ont baissé en volume, il faut s'attendre à une dégradation accentuée de notre balance commerciale. Sans diversification de son économie, l'Algérie continuera à subir les crises mondiales. Avec des niveaux encore substantiels au-dessus de 100 dollars, les cours du brut suffisent-ils à satisfaire la boulimie d'importation de l'économie algérienne ? Peu importe le prix du baril de pétrole, avec une faible croissance de son PIB (moins de 3%) rien ne peut justifier une telle boulimie d'importation. Pour ma part, je pense que seul un développement économique de l'Algérie pourrait satisfaire un tel niveau d'importation. On peut comprendre que si l'Algérie avait une industrie développée, elle produirait plus et donc importerait plus de produits intrants nécessaires à la production. De fait, en produisant plus, on créerait plus d'emplois, et donc non seulement la population active serait plus importante, mais en plus les ménages consommeraient plus, car leur pouvoir d'achat serait plus élevé. En effet, une production locale permettrait d'avoir des prix à la consommation non pas indexés aux prix des importations mais au coût du travail en Algérie (4,5 fois inférieur à celui de la France par exemple). Notre pouvoir d'achat augmenterait, et les ménages algériens pourraient consommer plus. Ainsi, l'économie algérienne serait immunisée des effets dévastateurs de l'inflation importée que nous subissons aujourd'hui. Outre la baisse des cours pétroliers et le gonflement continu de la facture d'importation, la politique de placement des réserves de changes n'est-elle pas aussi un facteur qui a plombé les finances de l'Algérie ? Au déclanchement de la crise, le placement d'une partie de nos réserves de changes en bons du Trésor américain était une bonne stratégie, car très peu risquée. Ceci étant dit, c'est profondément regrettable de ne pas avoir profité de cette crise pour industrialiser l'Algérie. Nous aurions pu récupérer un retard technologique considérable et diversifier notre économie. Nombreux sont les pays qui ont saisi cette opportunité pour prendre le contrôle d'entreprises étrangères stratégiques pour leur développement économique. D'ailleurs, entre 2007 et 2011, lors de l'effondrement des bourses, on a constaté que le montant en dollar des actifs sous gestion des fonds souverains au niveau mondial n'a cessé d'augmenter. Pour son développement économique, l'Algérie a, pour sa part, fait le choix de la dépense publique au détriment de l'investissement productif et de la diversification de son économie par l'acquisition du savoir-faire étranger. Le refinancement systématique d'entreprises publiques continuellement déficitaires et la politique sociale de réduction du chômage ont indéniablement plombé les finances publiques de l'Etat. Je pense que notre modèle de développement est révolu et qu'il est urgent de restructurer notre économie. Au risque de vous paraître pessimiste, je suis très inquiet quant à l'avenir de notre pays. L'Algérie est malade, et on ne laisse pas le bon médecin lui administrer le remède qui pourrait la sauver. Nom Adresse email