Dans les rues de Bamako, sous un soleil de plomb, les habitants affrontent le bruit incessant et la poussière des milliers de motos qui circulent et se déjouent des véhicules. Les trottoirs de la ville sont transformés en d'interminables espaces de vie et de commerces, donnant un aspect hétéroclite à la capitale du Mali, et qui sont tout autant des signes de la crise économique qui frappe l'ensemble du pays. Tout l'intérêt des Maliens est bien tourné vers l'élection présidentielle du 28 juillet, avec des questionnements sur les conditions de déroulement du scrutin et son corollaire attendu : l'accord final des négociations à Ouagadougou entre le pouvoir malien et les "rebelles touareg du MNLA" qui occupent Kidal, dans le Nord-Est. Une occupation qui passe très mal pour Bamako et qui constitue une ligne rouge pour l'ensemble de la classe politique. Le représentant de l'un des principaux partis d'opposition Sadi, Nouhoum Keïta, est clair : "Il n'est pas question d'aller vers une quelconque tutelle du MNLA sur Kidal. Le seul accord à entériner est une libération totale du territoire dans le Nord et le retour de l'administration et de l'armée maliennes." Sans remettre en cause le calendrier électoral et la participation de son parti, il nous explique que c'est aux autorités maliennes d'assurer les bonnes conditions du scrutin, et de poursuivre : "Les autorités ont promis des élections libres et démocratiques, mais à quelle condition ?" C'est là un point de vue largement partagé à Bamako et dans la classe politique, comme nous le confirme Mamadou Samaké, professeur de droit à l'université de Bamako et membre d'un réseau d'ONG activant depuis 1996 : "Pour les élections, il est vrai qu'il faut régler le problème de Kidal. Seul le retour de l'administration et de l'armée symbole de l'Etat peut être accepté. L'ensemble de la classe politique est d'accord sur cette question." L'ambiguïté française Aussitôt dans les discussions autour "de la libération de Kidal et de l'ensemble du territoire du Nord-Mali", la position française débouche sur ce qui pourrait presque s'apparenter à un début de sentiment anti-français chez certains dans les rues de Bamako. Les journalistes de la presse malienne évoquent ce glissement de l'opinion par "la position ambiguë de la France, notamment lorsque les soldats français auraient stoppé l'entrée de l'armée malienne dans Kidal". Faire du MNLA un partenaire de négociation est très mal perçu avec un ressentiment très fort à l'encontre des Touareg chez les Maliens. Les propos que nous avons entendus sont extrêmement virulents, et dans Bamako c'est un profond rejet de l'entité Azawad telle que voulue par le MNLA, jugé malgré tout minoritaire. Pour Mamadou Samaké, "il y a un véritable danger à faire l'amalgame entre le MNLA et l'ensemble de la population touareg. C'est cette ambiguïté française qui dérange en laissant paraître une volonté à Paris de ménager le MNLA pour probablement tenter de jouer la carte de leurs intérêts, c'est-à-dire le sort des otages français". Keïta Nouhoum est plus tranchant, estimant que "la communauté internationale ainsi que la France par le biais des négociations à Ouagadougou en arrive à légitimer un groupe armé en le plaçant sur un pied d'égalité avec un Etat pourtant attaqué par ce même groupe armé... J'aimerais que l'on nous explique où est la différence entre un groupe armé et un groupe terroriste ?" 301 027 Maliens déplacés depuis 2012 L'autre question qui est tout aussi déterminante pour le déroulement des élections est celle des déplacés internes et des réfugiés dans les pays voisins. La préparation du scrutin, avec la distribution de plus d'un million de cartes Nina, se heurte au recensement des populations déplacées. Brahim Fomba, SG du ministère de l'Administration territoriale, de la Centralisation et de l'Aménagement du territoire, l'a bien déclaré dans la presse locale : "Tout électeur qui ne l'aura pas (la carte Nina NDLR) ne pourra pas voter." Or il est clair que des milliers de citoyens ne pourront pas obtenir cette carte, en raison de la situation qui est la leur, sans oublier les 352 000 jeunes en âge de voter mais qui ne sont pas dans la base de données magnétique. Le député Cissé Moussa, du parti au pouvoir, ancien migrant de la région de Kayes, affirme au sujet des déplacés que "beaucoup ne pourront pas voter", sans omettre le sort également des migrants maliens expulsés et errants. Pour Amadou Diakhaté, de la direction générale du ministère des Affaires extérieures, il y aurait en Algérie plus de 35 000 Maliens qui ont fui le Nord et qui pourront voter avec la carte qui leur sera distribuée. Mais le statut même de ces derniers en Algérie est à préciser, au vu du terme qui est utilisé des deux côtés de la frontière algéro-malienne. Pour les Maliens, ce sont des déplacés, mais en Algérie, nous dit notre interlocuteur, les autorités algériennes les considèrent comme des frères. Du côté de la Commission mouvement de populations (CMP) au Mali, qui est un sous-groupe du Cluster Protection, rattaché à l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), il a été recensé jusqu'à fin mai 2013 pas moins de 301 027 déplacés, dont 51% de femmes. Les données autour des déplacés continuent d'être complétées par nombre d'ONG se trouvant sur le terrain, mais l'OIM confirme que, parmi les déplacés déclarés et recensés, 53% sont des enfants de moins de 18 ans. Bamako a ce triste record d'accueillir le plus grand nombre de déplacés qui s'entassent dans des conditions extrêmement dures dans des camps ou des quartiers transformés en ghettos. Majoritairement, ces familles de déplacés sont originaires des régions de Kidal, Gao, Tombouctou et Mopti, c'est-à-dire les zones de conflit. D'ailleurs, pour les ONG, 96% des familles déplacées disent avoir fui la violence et les conflits. Aujourd'hui, la nécessité de prendre en charge ces milliers de personnes demeure un défi pour l'Etat malien, particulièrement leur participation au vote du 28 juillet. D. L. Nom Adresse email