Le système LMD a été présenté par ses initiateurs comme étant la recette miracle aux maux que vit l'enseignement supérieur dans notre pays. Près de 10 années après sa mise en œuvre, quelle évaluation peut-on en faire ? Pour le Dr Farid Cherbal, enseignant-chercheur à l'USTHB, les "commissaires politiques" du néolibéralisme de l'Union européenne (UE) chargés de vendre le produit «LMD» (qui est le "produit star" du processus de Bologne en 1999) aux pays émergents, l'ont présenté comme une "potion magique" capable de résoudre les problèmes de l'enseignement supérieur dans n'importe quel pays du monde. Pour rappel, le processus de Bologne est un processus de rapprochement des systèmes d'enseignement supérieur européens initié en 1999 et qui a conduit à la création en 2010 de l'Espace européen de l'enseignement supérieur. Farid Cherbal rappelle que "la réforme LMD est entrée en vigueur (sans débat et sans concertation avec les étudiants et les enseignants) dans l'université algérienne depuis 2004, et elle s'est généralisée depuis 6 ans dans la majorité des établissements universitaires du pays particulièrement dans les filières de sciences et technologies." Selon lui, "le LMD est une réforme néolibérale qui se décline suivant plusieurs axes : la dérégulation et le démantèlement du service public universitaire, la réduction de la dépense publique dans le secteur de l'enseignement supérieur et l'ouverture sur le marché. Elle avait pour but d'adapter l'enseignement supérieur algérien à la feuille de route de la mondialisation néolibérale dans le cadre de l'accord d'association avec l'Union européenne, et de transformer ainsi l'université publique en une université productive/marchande/mercantile." Concernant l'évaluation qu'il fait de ce système, il précise que "9 ans après, nous pouvons déjà dire que la réforme LMD a détruit le cadre national des diplômes de l'université algérienne qui était défini par les Comités pédagogiques nationaux dans le système classique des diplômes Licence - DES - Ingéniorat". En effet, en cette rentrée 2013-2014, le nombre d'offres de licence est de 3 500, celui du master est de 3 250. Certes, le MESRS vient de publier les arrêtés du 28 juillet 2013 qui fixent (pour tous les établissements universitaires du pays) un programme des enseignements du socle commun (les 2 premières années) de licences dans l'ensemble des domaines des sciences sociales, des sciences technologiques, des sciences de la vie et de la nature, et des sciences de la terre et de l'univers. Mais le chercheur indique que "la très grande hétérogénéité qui existe aujourd'hui entre les différentes universités du pays, au niveau de l'encadrement, le respect des normes pédagogiques de l'Unesco (28 semaines d'enseignement effectif), le respect des ratios d'encadrement (1 enseignant/15 étudiants), l'enseignement effectif des TP, l'organisation des stages de terrain ou en entreprise, le potentiel en laboratoires de la recherche scientifique (cadre vital pour l'encadrement des mémoires de fin d'études de licences et de masters), ne pourra pas être corrigée par des arrêtés." Concernant les méthodes d'évaluation dans le système LMD, il indique qu'elles ont pour objectif stratégique de diminuer coûte que coûte le taux d'échec dans les premières années de graduation universitaire et permettre à un maximum d'étudiants d'avoir le diplôme de licence (bac+3). La suppression de la note éliminatoire et la compensation dans le semestre et entre les semestres et passage avec des crédits obéissent à cet objectif stratégique. "Malgré cela, l'échec est toujours là, et les mouvements de protestation des étudiants triplants du système licence LMD (qui logiquement doit être exclus) qui revendiquent pour terminer leur cursus, sont de plus en plus fréquents dans toutes les universités du pays", constate-t-il. Malgré les conditions souples d'accès au master dans l'université algérienne, la licence est le terminus universitaire (et social) pour la grande majorité des étudiants (particulièrement dans les filières des sciences sociales, à cause des grands effectifs)... et ceci permettra la réduction des dépenses publiques dans le secteur de l'enseignement supérieur. En fait, Farid Cherbal estime que la réforme LMD est en train de créer dans notre pays, doucement et sûrement, une université à deux vitesses : une université d'excellence (avec un grand capital économique et symbolique) où on trouvera des enseignants-chercheurs tournés vers la recherche internationale encadrant des étudiants généralistes dotés d'un capital économique, social et culturel élevé et qui se recrutent ‘naturellement' dans les milieux aisés, et une université dépourvue de moyens avec des enseignants coupés du monde de la recherche internationale qui encadrent des étudiants sans capital économique et social, et dont le diplôme ne sera valable que dans leur région." S. S. Nom Adresse email