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MOUVEMENTS DE PROTESTATION, FUITE DE CERVEAUX ET MANQUE D'ENCADREURS
L'universit� en crise Dossier r�alis� par Nawal Im�s
Publié dans Le Soir d'Algérie le 20 - 12 - 2004


Le diagnostic de l'UNEA
L'universit� alg�rienne vit une crise multidimensionnelle. Le flux jamais �gal� d'�tudiants lors de la rentr�e 2004-2005 a mis � nu les limites du syst�me de l'enseignement sup�rieur. Les 740 000 �tudiants inscrits se sont rapidement heurt�s � la dure r�alit� du terrain : manque d'encadrement p�dagogique, de transport et de moyens d'h�bergement.
La rentr�e a �t� explosive, ponctu�e de mouvements de protestation �pars qui ne sont que l'expression d'un m�contentement et d'un profond malaise. Le minist�re de l'Enseignement sup�rieur qui a pourtant d�ploy� beaucoup de moyens n'a pas �t� en mesure de garantir une rentr�e sans probl�mes. Les organisations estudiantines, souvent organes satellitaires de partis politiques, sont aujourd'hui mises � l'index. Elles consomment un budget colossal sans �tre toujours en mesure de canaliser leurs troupes. Leur avenir est-il menac� ? Le minist�re a r�cemment mis en garde leurs responsables, promettant de recourir � la justice pour mettre un terme � l'anarchie. Mais le probl�me de l'universit� alg�rienne ne peut se r�sumer � une lutte id�ologique autour du contr�le des organisations estudiantines. Le probl�me est celui de l'absence d'une vision � long terme et des r�formes par � coups. Derni�re trouvaille, le syst�me LMD appliqu� d�s cette ann�e. Les sp�cialistes y voient une injonction de l'Union europ�enne qui vient d'imposer � l'Alg�rie un syst�me qui n'est pas en ad�quation avec les donn�es de l'Alg�rie. Les repr�sentants des enseignants et des �tudiants sont unanimes, ils mettent en garde contre la mise en place d'une universit� � deux vitesses.
Nawal Im�s

Le diagnostic de l'UNEA
L' UNEA, organisation estudiantine qui ne cache pas son affiliation � l'ex- parti unique, se targue d'�tre �repr�sentative� des �tudiants. Son diagnostic de la rentr�e universitaire 2004- 2005 est sans appel. Son secr�taire g�n�ral, Bougouba Ibrahim, explique l'�bullition que vit l'universit� depuis plusieurs semaines par la r�surgence de probl�mes p�dagogiques et sociaux accumul�s depuis plusieurs ann�es. �Si les probl�mes surgissent maintenant, c'est parce que la rentr�e universitaire ne s'est r�ellement faite qu'apr�s les f�tes de l'A�d au moment o� l'ensemble des �tudiants ont rejoint les campus�, explique le SG de l'UNEA qui consid�re que le probl�me de l'universit� doit �tre appr�hend� selon les sp�cificit�s g�ographiques : si dans les grandes villes, c'est le probl�me d'h�bergement qui est pos� avec acuit�, � l'int�rieur du pays, c'est le manque flagrant d'encadreurs qui est mis � l'index. �En d�pit des moyens colossaux mis en branle par la tutelle, plusieurs logements n'ont pu �tre �quip�s�.Un manque � gagner que l'UNEA esp�re voir r�gler dans les plus brefs d�lais. Interrog� au sujet de la probl�matique du transport universitaire, M. Bougouba estime que si le nombre de bus est suffisant, c'est la gestion efficace qui fait d�faut : le SG de l'UNEA conteste des d�cisions pas toujours �justes� et d'expliquer qu'il n'�tait pas acceptable qu'un �tudiant habitant � 45 kilom�tres de l'universit� ne b�n�ficie pas du transport sous pr�texte que la loi pr�cise que seuls les �tudiants r�sidant � 50 km y ouvrent droit. De ce fait, aujourd'hui, quelque 20 000 �tudiants sont priv�s de transport. Les probl�mes d'ordre social ne sont pas la seule pr�occupation de l'UNEA, l'aspect p�dagogique fait partie de ses pr�occupations. A ce sujet, l'UNEA d�plore la surcharge des amphith��tres et des salles de travaux dirig�s. �Dans les grandes villes, cet obstacle est r�current tandis qu'ailleurs les universit�s n'en souffrent pas mais c'est le probl�me d'encadrement qui ressurgit�. La nouveaut� de l'ann�e, � savoir le syst�me LMD, n'a pas laiss� indiff�rente l'organisation estudiantine qui d�plore l'absence de concertation � ce sujet mais n'a pas pris position pour ou contre puisque le syst�me n'a pas �t� impos� aux �tudiants mais laiss� au libre choix de ces derniers. Et que pense cette organisation des r�centes mises en garde du ministre de tutelle ? L'UNEA estime qu'il n'est pas dans l'int�r�t des organisations de perturber la rentr�e universitaire. Harraoubia l'entendra-t-il de cette oreille ?
N.I.
Qu'est-ce que le syst�me LMD ?
C'est un syst�me d'origine anglo-saxonne, fond� sur des normes internationales. Le programme LMD est appliqu� depuis longtemps dans les universit�s nordam�ricaines. Il a par la suite �t� adopt� de mani�re progressive dans la majorit� des pays europ�ens puis ceux du Maghreb. Les trois �tapes du nouveau syst�me sont fractionn�es en semestres d'�tudes. La licence est ainsi segment�e en deux paliers. La premi�re �tape est transdisciplinaire d'une dur�e de deux ans � quatre semestres, consacr�s � l'acquisition des principes fondamentaux du domaine choisi par l'�tudiant et une initiation � la m�thodologie de la vie universitaire et sa d�couverte. Ce palier est suivi d'une formation caract�ristique, offrant deux options. La premi�re est acad�mique ; elle est consacr�e par un dipl�me de licence qui permet l'acc�s direct � des �tudes universitaires � long terme et � une sp�cialisation plus approfondie.
N.I.
Quel est le budget allou� aux organisations estudiantines ?
Les organisations estudiantines de plus en plus nombreuses ne semblent plus �tre dans les bonnes gr�ces de la tutelle. Il leur est reproch� de faire dans l'agitation et la surench�re. C'est pourtant le minist�re de l'Enseignement sup�rieur qui les subventionne. Chaque ann�e, les organisations agr��es se partagent une cagnotte de plusieurs milliards de dinars. La part de chacune des organisations est proportionnelle � la "repr�sentativit�" de chacune d'entre elles. Selon certaines indiscr�tions, le montant de la subvention varie entre 1 � 2 millions de dinars par an et par association. Un montant que beaucoup d'organisations qualifient de d�risoire mais qui constitue un fardeau pour la tutelle. N. I.
Combien co�tera la r�forme ?
La r�forme engag�e par le minist�re de l'Enseignement sup�rieur co�tera plusieurs milliards. Selon une �valuation pr�liminaire, il faudra mobiliser 60 millions de dinars par nouvelle fili�re, notamment dans les disciplines des sciences et de la technologie. Ces besoins du secteur devront �tre graduellement inclus dans les lois de finances entre 2005 et 2008. Sur une p�riode de cinq ann�es � venir, c'est un budget de fonctionnement estim� � 521 milliards de dinars. Au niveau des capacit�s d'accueil, les besoins sont estim�s � 209 000 places p�dagogiques et 221 000 lits d'h�bergement pour une autorisation de programme �valu�e � 521 milliards de dinars. N.I.
M. CHERBAL, MEMBRE DU CONSEIL NATIONAL DES ENSEIGNANTS DU SUPERIEUR
�Le LMD va cr�er une universit� � deux vitesses�
M. Cherbal, du CNES, fait un bilan tr�s critique de la r�forme de l'enseignement sup�rieur. L'introduction du LMD, consid�r�e par les pouvoirs publics comme une solution � tous les probl�mes, risque de cr�er une situation in�dite : l'�mergence d'une universit� � deux vitesses.
Le Soir d'Alg�rie : Quelle appr�ciation faites-vous des diff�rentes r�formes de l'enseignement sup�rieur ?
M. Cherbal : La r�forme, c'est toujours aller vers un mieux, chez nous c'est souvent une remise en cause des acquis. Avant toute r�forme, il faut faire un bilan qui doit comporter les aspects n�gatifs de ce qui a �t� fait depuis 1971, une date charni�re pour l'universit� alg�rienne qui marque une rupture puisque la r�forme de l'enseignement sup�rieur a permis de mettre en place l'universit� nationale, c'est-�-dire une universit� qui a pu former 500 000 dipl�m�s. A l'�poque, on pouvait parler de v�ritable politique d'enseignement, chose que l'on a plus depuis deux d�cennies. La r�forme conna�tra son apog�e entre 1971 et 1981. En 1981, cette politique sera abandonn�e pour mettre en place une politique de gestion des flux. C'est � cette p�riode qu'un grand nombre d'�tudiants est arriv�, ce qui est normal dans un pays qui venait d'acc�der � l'ind�pendance. Seulement on est rest� � ce stade-l�. La crise multidimensionnelle qui s'installe au niveau de l'universit� va toucher tous les aspects ; celui de la gestion, de la p�dagogie et d'infrastructures ainsi que la qualit� de l'enseignement.
Pensez-vous que le syst�me LMD pourra venir � bout de cette crise ?
En 2004 on arrive � la nouvelle r�forme qui est l'introduction du LMD qui arrive sans un bilan pr�alable, sans concertation avec les partenaires sociaux que sont les �tudiants et les enseignants. Dix universit�s sur 58 l'ont introduit. Le syst�me LMD n�cessite beaucoup de moyens en encadrement et en moyens financiers actuellement, l'universit� est incapable de donner ces moyens. A titre d'exemple, � l'universit� de Beja�a pour 900 �tudiants inscrits en LMD anglais, il n‘y a que deux enseignants permanents. On peut dire d'ores et d�j� que c'est mal parti. Aujourd'hui, ceux sont plus que des inqui�tudes que nous exprimons. Si on ne prend pas assez de pr�cautions, on va se retrouver dans le probl�me suivant : les r�formes LMD � travers le monde ont toutes remis en cause le cadre national des dipl�mes. En Alg�rie, c'est inacceptable. Le cadre national des dipl�mes c'est ce qui cr�e la coh�sion d'une nation qui permet aux enfants d'un m�me pays de se conna�tre. Ce cadre national des dipl�mes c'est notre rep�re pour la qualit� de l'enseignement et pour le march� du travail. C'est ce cadre qui � mon avis pr�serve un acquis tr�s important pour l'universit� alg�rienne qui est l'�galit� des chances et la d�mocratisation de l'enseignement. Si on remet en cause ce cadre national, cela veut dire qu'un �tudiant sortant de l'universit� de Oum-El- Bouaghi n'aura jamais les m�mes chances de trouver du travail comme celui de l'universit� de Mentouri ou Essania Deuxi�me danger pour cette r�forme LMD , on va avoir une universit� � deux vitesses, une universit� avec beaucoup de moyens, un grand capital symbolique, culturel et financier et fr�quent� par des �tudiants qui ont eux-m�mes un grand capital financier ; ces universit�s vont r�ussir leur int�gration en faisant de la coop�ration avec les universit�s europ�ennes et d'un autre cot�, on aura une universit� qui va former uniquement pour des licences professionalisantes qui sera le terminus social pour ceux qui n'auront pas les moyens de poursuivre leurs �tudes en faisant des masters ou des doctorats. On aboutira alors � des universit�s de niveau international et d'autres o� s'entassera la grande masse des �tudiants La r�forme LMD est un syst�me d'�tudes tr�s li� � la formation sociale am�ricaine mais aux Etats-Unis, ils ont une constante qui fait que ce syst�me qui comprend quelque 40 00 �tablissements universitaires avec une particularit� : des universit�s priv�es et d'autres publiques financ�es par l'Etat f�d�ral mais ce syst�me LMD a la particularit� d'associer l'entreprise �conomique qui est tr�s pr�sente dans le syst�me d'�tudes,or chez nous, dans un pays mono exportateur, il n'y a pas ce genre de traditions : l'entreprise n'investit pas encore dans l'universit� . Je ne dis pas qu'il ne faut pas r�former mais apr�s d�bat et r�flexion, toute r�forme doit n�anmoins pr�server des acquis qui devraient �tre inscrits dans la Constitution ; � savoir la d�mocratisation de l'enseignement et l'�galit� des chances ainsi que la gratuit� pour aller vers une universit� publique performante, car seule une universit� performante pourra former des dipl�m�s qui prouveront leur poids dans le march� du travail. Cette universit� devra �tre toujours en rapport avec le march� du travail ce qu'il faut aujourd'hui c'est un grand d�bat qui r�pondra � la question suivante : quelle universit� voulons-nous pour le XIe si�cle ?
Pourquoi alors avoir choisi ce syst�me ?
Il a �t� impos� dans le cadre des n�gociations avec l'UE qui a dit que ce syst�me LMD doit �tre adopt� comme en Europe. Mais attention en France, par exemple, ce syst�me a commenc� � �tre appliqu� en 2001. Jusqu'� maintenant, seulement 3 ou 4 universit�s fran�aises l'ont adopt�. Elles pr�f�rent attendre ; ce n'est qu'� l'horizon 2007 et 2008 que l'op�ration sera achev�e. Il y a aujourd'hui une priorit� : il faut que les dipl�mes de l'universit� alg�rienne soient �quivalents � ceux des universit�s internationales mais �a ne peut pas se faire uniquement par le biais du syst�me LMD. Le danger des r�formes n�o-lib�rales, c'est qu'elles r�glent les probl�mes � courte vue mais jamais avoir de vision � long terme
Pensez-vous que l'introduction du priv� dans l'enseignement sup�rieur sera salvatrice ?
L'introduction du priv� ne devra pas menacer des acquis. Le priv� ne doit pas toucher aux �tablissements publics. Il faudra que m�me pas une chambre des œuvres de l'ONOU ne soit mise � sa disposition. Si le priv� a de l'argent et qu'il peut construire de nouvelles universit�s de l'envergure de celles de Bab Ezzouar ou d'Essania, bienvenue � ce priv� mais le tout c'est que ce qui est public doit le rester.
Le d�ficit en encadreurs persiste toujours.
Le d�ficit d'encadrement n'est qu'un �l�ment de la crise multidimensionnelle que conna�t l'universit�. Le ratio d'encadrement pour l'universit� alg�rienne est de un enseignant pour 28 �tudiants, or en r�alit� pour �tre dans les normes de l'UNESCO, il faut un enseignant pour 15 �tudiants. On a un d�ficit qui avoisine la moiti� de l'effectif. En 2007, on va avoir 1 million d'�tudiants , en 2009, ils seront 1 million 400 000, cela revient � dire qu'il faudra trouver 25 000 enseignants pour les encadrer, �a ne peut se faire qu'avec une r�forme qui permet d'aller ver des post-graduations avec une coop�ration technique internationale. Il faut que l'enseignement devienne attractif et pour ce faire, il faut en urgence aller vers un statut de l'enseignant.


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