Pour Soufiane Djilali, Bouteflika a fait son temps. C'est pourquoi, il lui a lancé, hier, un appel en bonne et due forme pour qu'il quitte le pouvoir. Ils sont rares, parmi nos hommes politiques, à user d'un humour aussi fin que celui de Soufiane Djilali. Il faut dire que la scène politique nationale est à même de lui donner de la matière. Et pour cause ! Les loufoqueries autant que les passe-droits ne manquent pas. Aussi, on ne peut considérer sérieusement le président du parti Jil Jadid, et non moins candidat à la prochaine élection présidentielle, comme un humoriste ni comme un fauteur de troubles. Devant la gravité de la situation, trêve de légèreté. Pour Soufiane Djilali, il ne s'agit sûrement pas de saper davantage la confiance des citoyens envers l'Etat. D'après lui, elle l'est assez depuis l'avènement de Bouteflika... Dans son intervention préliminaire, l'invité du Forum de Liberté a bien voulu avoir une pensée pour les victimes tombées lors des évènements du 5 Octobre 1988 qui, pour lui, représentent "un tournant capital" dans l'histoire contemporaine de l'Algérie. "Nous ne sommes pas le produit d'un desiderata du pouvoir, mais une émanation de la société. Nous sommes le produit du 5 Octobre, une date qui a démontré qu'une société, c'est très complexe..." S'il n'établit pas expressément un bilan, Soufiane Djilali n'en estime pas moins, 25 ans après, que la société algérienne n'a pas su générer "une superstructure ouverte et démocratique", à l'instar des pays de l'Est... Le seul acquis (et non des moindres) est que, selon lui, il y a eu, depuis ce temps, "des changements d'ordre anthropologique". Il y va de son explication : "La société algérienne s'est régénérée depuis 88 même si elle a échoué à changer de régime"... Il regrette, seulement, que l'ancien mode de gouvernance n'ait pas disparu, alors que le nouveau ne s'est toujours pas imposé. "La société algérienne veut être fondée sur un rapport de raison, et non plus sur un rapport de force", poursuit-il. D'après le leader de Jil Jadid, le pouvoir est aux abois. "Le régime politique actuel a été dessiné il y a fort longtemps. En 1962, une génération de dirigeants venait de gagner un pays. Sublimés par la Révolution, ces derniers estimaient avoir vaincu la 4e puissance mondiale et fait renverser des équilibres internationaux à la suite de ce véritable coup de poker qu'était le 1er Novembre 1954. Et quand vous avez des gens insignifiants qui n'avaient même pas la citoyenneté et qui étaient alors considérés comme des indigènes qui en viennent à hériter de tout un pays, il est comme à craindre qu'ils ne lâchent plus le pouvoir jusqu'à leur extinction biologique". Enfin, l'invité de Liberté regrette surtout que "ces nationalistes n'aient plus rien de nationaliste et qu'ils ne pensent pas à l'Algérie, mais plutôt à leurs intérêts"... Le "shutdown" de Bouteflika Pour lui, Bouteflika, très souffrant, fait seulement semblant d'être fort. "Le pouvoir panique car il est très faible"... à entendre Soufiane Djilali, toute sa vie, Bouteflika n'a eu pour seule politique que de se maintenir au pouvoir. Mais aujourd'hui, son âge avancé, sa motricité réduite, ainsi que sa longévité dans ce même pouvoir sont devenus, pour lui, des facteurs "handicapants". Doit-il être disqualifié ? D'après l'invité de Liberté, l'article 88 de la Constitution relatif au cas d'empêchement du chef de l'état aurait dû être appliqué, et ce, "dès le 27 avril", à la suite de l'évacuation en urgence du chef de l'état vers un hôpital militaire français. "Aujourd'hui, Bouteflika ne marche pas, ne parle pas et, à mon avis, il ne pense pas en tant que chef d'état. On l'a, certes, vu comploter et intriguer à la télévision, mais il ne nous a même pas dit bonjour !" Pendant ce temps, les Algériens restent sur leur faim, curieux qu'ils sont de savoir comment se déroule actuellement la gestion courante des affaires du pays. Soufiane Djilali ne désespère pas pour autant de voir encore débattre cette disposition constitutionnelle à la lumière du jour (et surtout pas dans l'obscurité de la nuit). Pour lui, cette idée de vouloir mourir président prêtée à Bouteflika est d'un "ridicule" incroyable. L'invité de Liberté se souvient que Bouteflika, en arrivant en Algérie, en 1999, "porté sur un char", se vantait de son expérience à l'international. Il avait promis, et l'opinion nationale en est témoin, de créer des conditions extérieures favorables pour l'essor économique du pays et l'amélioration du niveau de vie de sa population. 15 ans après, notre PIB (hors hydrocarbures) est l'un des plus bas de la planète. C'est-à-dire que l'Algérie, soi-disant le plus grand pays d'Afrique, est le pays qui produit le moins de richesses au monde. Pour Soufiane Djilali, ceci est une véritable honte ! Il faut dire que le président de Jil Jadid parle, d'abord et avant tout, de choses qui touchent directement tous les Algériens. Comme de la corruption qui s'est "généralisée" et de ses effets ravageurs. Comme beaucoup d'Algériens, il semble nourrir, lui aussi, un grand sentiment de colère devant l'état déliquescent de son pays. Il est, lui aussi, d'avis à remplacer l'actuel Président, lors de la prochaine échéance électorale de 2014, "une occasion extraordinaire pour le changement", par quelqu'un de plus soucieux et de plus dévoué à l'intérêt national, et ce, afin de tenter de réparer les dégâts qui sont, il est vrai, fort nombreux. "Tout le monde sait que Bouteflika a mené une politique trop conciliante avec nos partenaires étrangers. Il croyait, par exemple, qu'en plaçant les richesses algériennes aux USA, l'hyperpuissance américaine le soutiendrait toute sa vie au pouvoir. Il semble surtout oublier les cas Ben Ali et Moubarak...", ajoute-t-il. D'après lui, au lieu d'apporter de vraies réponses, le pouvoir préfère acheter les questions. Cela dit, certains dommages risquent aujourd'hui d'être irréversibles. Il révélera, ainsi, qu'à partir du 17 octobre, et si les USA se déclarent en cessation de paiement à la suite du "shutdown", l'Algérie risque de ne plus pouvoir récupérer l'argent déposé au Trésor américain. "Pour qu'une nation existe, il faut qu'elle parle. Le monde a besoin d'une Algérie forte pour stabiliser la région. Malgré les marchés qu'il peut octroyer à tout-va aux Occidentaux, le régime algérien ne présente désormais plus aucune garantie", assène-t-il avec force et conviction. De toute manière, pour Soufiane Djilali, "Bouteflika a fait son temps". C'est pourquoi, il a saisi hier l'occasion du Forum de Liberté pour lancer un appel en bonne et due forme à l'actuel locataire d'El-Mouradia : "Monsieur Bouteflika, il faut savoir quitter la table quand elle est desservie." Et de le prévenir : "Sinon, vous allez finir par sortir avec une humiliation pour vous et pour l'Algérie." Soufiane Djilali, qui soupçonne le pouvoir d'être animé de "mauvaises intentions", demande instamment au premier magistrat du pays de prendre la juste mesure de ses responsabilités historiques et de choisir définitivement son camp pour l'Algérie. Aussi, qu'on approuve ou pas, son "activisme", il faut reconnaître à Soufiane Djilali le droit de pouvoir s'indigner et de s'exprimer. Mieux encore, quand on sait que dans le camp d'en face, en l'occurrence chez le clan présidentiel, la liberté d'opinion ne se résume qu'à la liberté... d'opiner, il faudra bien considérer le comportement de ce "trublion" plutôt comme vertueux et sain. Car, n'est-ce pas le propre de la jeunesse que de croire qu'on peut changer le monde ? Comment, d'ailleurs, pourrait-on lui en vouloir pour cela ? Comment franchement ne pas l'admirer pour cela ? Bio-express Né le 16 septembre 1958 à Blida, Soufiane Djilali a obtenu son baccalauréat en 1977 avant de devenir en 1982 docteur-vétérinaire. Il poursuivra ses études en France jusqu'à obtenir en 1988 son doctorat d'état en immunologie. Après avoir été secrétaire général du parti du Renouveau algérien (PRA) durant presqu'une décennie, il crée en 2011 sa formation politique Jil Jadid. M-.C. L. Nom Adresse email