Il me semble que des perspectives énergétiques nouvelles sont en train de se dessiner progressivement en Algérie sans que l'on prenne suffisamment la mesure de ce changement de paradigme. Nous ne nous rendons pas compte de cela parce que, à l'instar du reste du monde, l'Algérie entre à reculons dans la transition énergétique. Les perspectives énergétiques à moyen terme (2020) et long terme (2030) sont déjà différentes de celles des décennies passées vécues depuis l'indépendance tout en conservant, il est vrai, quelques éléments de continuité. Cela nécessite donc non seulement un recadrage substantiel des stratégies énergétiques mises en œuvre à ce jour mais aussi un modèle de consommation énergétique approprié. Eléments d'analyse. Le premier élément d'analyse porte sur le changement significatif en matière d'offre énergétique potentielle. Qu'on le veuille ou non, la nouvelle offre énergétique s'appuiera sur un trépied : les hydrocarbures conventionnels qui représentent en gros 4 milliards de tep avec une production annuelle de 200 millions de tep, soit vingt ans de durée de vie (un peu plus avec les dernières annonces du ministre de l'Energie), les hydrocarbures non conventionnels qui représentent les troisièmes réserves mondiales, et enfin les énergies renouvelables, essentiellement le solaire, sachant qu'avec 3 500 heures d'ensoleillement, l'Algérie dispose du plus grand gisement solaire du bassin méditerranéen. Mais une fois que l'on a dit cela, le problème reste entier en termes de valorisation marchande des deux derniers constituants de ce potentiel. Pour les gaz de schiste, les appréhensions les plus récurrentes portent chez nous sur les risques de pollution des nappes phréatiques. Ce risque existe aussi pour les forages «conventionnels» du fait de cimentations mal faites, à l'instar de l'accident de BP dans le Golfe du Mexique. En vérité le risque le plus grand est économique. À ce propos, un enseignement intéressant nous vient des Etats-Unis, pays qui avait commencé avec succès l'exploitation à grande échelle des gaz de schiste. La production du gisement de Barnett, situé dans la zone urbaine de Dallas (Texas) qui "produisait 4,84 milliards de pieds cubes en juin 2013 a baissé de 16,5% en un an et de 20,5% sur deux ans", selon un article du journal français Le Monde du 1er octobre 2013. Cet article précise que "pour maintenir une production élevée, il est nécessaire de forer sans cesse de nouveaux puits, de dix à cent fois plus que pour le pétrole conventionnel, d'après la direction du groupe Total." Cela évidemment a pour conséquence d'augmenter considérablement les coûts de production du gaz non conventionnel comprimant ainsi la rente qui en est tirée. Cette question avait été posée du reste lors des journées d'étude «Tight and Shale Reservoirs» organisées les 17 et 18 septembre à Alger par l'Institut Algérien du Pétrole (IAP) et la Sonatrach. La réponse n'a pas été complètement donnée, même si la communication technique du Dr Mohamed Kaced, en charge du projet des ressources non conventionnelles à Sonatrach, était de standard international. Dans tous les cas je partage l'idée que l'exploitation incontournable des gaz de schiste en Algérie sera tout simplement une opération industrielle sans génération d'une rente significative. Une évaluation technico-économique approfondie est à faire par la Sonatrach sur la base de l'expérience américaine. Affaire à suivre. S'agissant ensuite des énergies renouvelables, nous sommes face au même type de préoccupations de faisabilité économique. Ainsi les réserves que j'avais exprimées en leur temps, partagées d'ailleurs aussi bien par les responsables du secteur en charge de l'énergie que par la Sonelgaz, se sont avérées fondées. La preuve : Desertec a abandonné ses projets d'exportation d'énergie électro-solaire à partir du Sahara du fait que les conditions de marché en Europe sont "peu attrayantes" comparativement au volume des investissements requis. Les tropismes des différents pays européens en matière de tarification électrique sont trop résilients pour accepter des prix qui garantiront un "retour sur investissement". J'avais également exprimé les mêmes craintes s'agissant du projet marocain de Ouarzazate, lors de mon intervention au Forum de Davos consacré aux questions énergétiques de la région Afrique du Nord/Moyen-Orient. Elles se sont avérées fondées elles aussi : Desertec n'a pas pu obtenir "le soutien du gouvernement espagnol, en difficulté financière". Je rappelle aux lecteurs que ce projet est un projet d'électricité solaire concentrée (ESC) de 500 MW dont je me demande comment il sera achevé face aux difficultés que rencontre la balance des paiements du Maroc. En revanche, le "Programme national algérien de développement des énergies nouvelles et renouvelables et de l'efficacité énergétique 2011-2030", adopté par le gouvernement le 3 février 2011, me semble tenir la route pour le moment, en dépit de quelques retards de réalisation (projet Rouiba Eclairage) et des ajustements et un suivi à opérer. Pourquoi ? Parce qu'il est d'abord financé, pour ce qui concerne la partie prise en charge, par le budget de l'Etat. Ensuite il s'appuie sur la mobilisation des moyens nationaux de recherche et de développement et la contribution des entreprises algériennes dans la construction et la fourniture d'une partie des équipements et des pièces de rechange. Et enfin ce programme permettra d'économiser du gaz naturel dans des centrales électriques qui seront hybrides (gaz naturel et solaire). S'agissant des 10 000 MW dédiées à l'export sur les 22 000 prévues d'être produites, on verra d'ici 2030 si l'Europe est enfin prête à accepter le juste «prix» de l'électricité solaire. Je conclus par l'obligation, dans la même démarche, de rationaliser notre modèle de consommation énergétique sans quoi le gaspillage dans le mix énergétique ainsi spécifié serait tel qu'il pourrait remettre en cause la faisabilité du programme. Pour ce faire, les tarifs de l'énergie devront bouger. Le plus tôt serait le mieux. Nom Adresse email