Les chefs d'Etat et de gouvernement africains viennent de se réunir en "sommet extraordinaire". Mais qu'est-ce qui a bien pu obliger les dirigeants de notre continent à se rencontrer en urgence ? La tragédie des migrants qui se jettent dans la Méditerranée pour fuir la terreur et la faim, et qui en meurent chaque jour par dizaines et, parfois, par centaines ? L'hégémonie du terrorisme islamiste qui menace de plus en plus de pays africains ? Le calvaire des femmes massivement violées en RDC ? Le conflit du Nord-Kivu, source d'indescriptibles souffrances pour la population de la région ? Non, rien de tout cela. Et ce n'est ni l'impératif d'éradiquer le sida, l'excision, l'enrôlement des enfants dans des armées d'insurgés ou l'assassinat des albinos dans certaines sociétés ni le souci de mettre le continent dans l'orbite du développement ou de la démocratie qui auront motivé ce regroupement précipité des maîtres de l'Afrique à Addis-Abeba. Ce sommet n'aura pas été, non plus, le fruit d'une miraculeuse conversion des leaders continentaux venus se faire le serment collectif de bannir la corruption, le détournement et le transfert dans leurs comptes étrangers des richesses de leurs pays ! Non, ils ont accouru des quatre coins du continent pour trouver ensemble le moyen de sauver la peau de quelques-uns d'entre eux rattrapés par la justice internationale. Le 12 novembre prochain doit s'ouvrir à La Haye le procès du président héréditaire du Kenya, Uhuru Kenyatta, et de son vice-président, William Ruto, accusés d'avoir organisé les violences postélectorales de 2007 qui avaient fait plus de mille cinq cents morts et plus de trois cent mille déplacés ! Mais l'Union africaine, syndicat de régimes en majorité autocratiques, éternels et dynastiques, ne l'entend pas de cette oreille. Elle veut étendre l'impunité de nos dictateurs jusqu'au-delà des frontières du continent. Dans la foulée, elle entend mettre le président du Soudan, lui aussi poursuivi par la Cour pénale internationale pour génocide, hors de portée de cette juridiction. Dans la précipitation, nos dirigeants associés ont commencé par demander à la CPI de renoncer au principe même de poursuivre les dirigeants africains. Ils ont même suggéré que la justice internationale patiente jusqu'à ce que se réalise la... mise à niveau de la justice kényane qui pourra alors juger son propre président. Quelques membres ont probablement trouvé la revendication trop irréaliste et ont apparemment poussé le "sommet" à revoir sa requête dans le sens d'un petit sursis pour le président kényan. Et comme il y a, quand même, des leaders africains de justice, mieux vaut peut-être donner le dernier mot au révérend Desmond Tutu : "Les dirigeants du Soudan et du Kenya, qui ont infligé la terreur et la peur dans leur pays, tentent de faire sortir l'Afrique de la CPI, ce qui leur donnerait la liberté de tuer, de violer et d'inspirer la haine sans être inquiétés" ; et à l'ancien secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan : "Je n'ai pas entendu de leaders parler de justice pour des milliers et des milliers d'Africains qui ont perdu leur vie ou qui ont été blessés, qui sont obligés de fuir leur foyer. C'est pour eux qu'il faut la justice." Pour lui, le débat à l'UA visait davantage à protéger les "dirigeants" que les "victimes". M. H. [email protected] Nom Adresse email