Jean-Michel Djian, journaliste et professeur à Paris VIII, producteur à France Culture et rédacteur en chef de la revue qu'il a lancée France Culture papiers, a offert dimanche au CRASC une conférence, tout aussi intéressante que de qualité, autour de son ouvrage paru en 2012 aux éditions J.-C. Lattès, "les Manuscrits de Tombouctou". Invité par l'Institut français d'Oran, Jean-Michel Djian laissera découvrir passion, érudition et professionnalisme, tant il y a en effet derrière l'auteur, l'homme des médias. Jean Michel Djian plongera alors son auditoire dans l'Afrique subsaharienne des XVe, XVIe et XVIIe siècles où la florissante cité Tombouctou, fondée par des tribus touareg, rayonnait comme lieu de science, de savoir, de culture, mais également comme grand centre commercial prospère. Une cité qui comptait alors jusqu'à 25 000 étudiants venant d'égypte, de Fès et de l'empire du Ghana, y compris de la lointaine Andalousie et qui avec leurs enseignants vont permettre de diffuser, propager ce savoir, attirant ainsi copistes, scribes qui ont consigné et écrit sur toutes sortes de support ce que cette civilisation allait produire sur plusieurs siècles. C'est ce que décèlent et révèlent les manuscrits de Tombouctou, qui ont failli disparaître dans les flammes des djihadistes obscurantistes lors de l'invasion du Nord Mali. Fort heureusement, ces manuscrits, des milliers, constituent majoritairement des bibliothèques privées, des bibliothèques familiales. Et c'est peut-être aussi pour cela que ces manuscrits ont pu être conservés, car jalousement cachés par les familles, presque enfouis "sous une chape de plomb". L'auteur révèlera ainsi que quelques mois avant l'invasion des djihadistes, 32 familles transformées en bibliothécaires, pressentant la suite, ont regroupé et déplacé avec 12 4x4 leurs manuscrits vers un lieu sûr à Bamako, évitant ainsi que 97 000 de ces ouvrages uniques et précieux ne soient détruits comme l'ont été certains des plus beaux mausolées de Tombouctou. Ces manuscrits, qui sont la mémoire de l'Afrique subsaharienne et de la cité Tombouctou, comme l'expliquera Djian, sont précieux, car révélant par leur contenu une Afrique non plus seulement celle de la civilisation des griots, de l'oralité, mais de l'écriture, de la science, de la philosophie, de la démocratie. Il aura fallu attendre ces dernières années pour que cela apparaisse aux yeux des plus grands spécialistes et historiens de l'Afrique. "Ces manuscrits sont de véritables abstracts, des traités de philosophie, de médecine, de politique, de mathématiques... qui montrent aussi que la civilisation africaine n'était pas que l'oralité. La plupart de ces manuscrits sont rédigés en aajamy et la difficulté est de pouvoir les traduire... Ce ne sont pas moins de 50 familles de Tombouctou qui ont été recensées comme ayant des bibliothèques familiales, seules 32 ont accepté ces dernières années de s'ouvrir et de numériser les manuscrits", explique encore Jean-Michel Djian. Dans ces manuscrits – du moins ceux qui ont pu être consultés et traduits – l'on trouve par exemple la description d'une opération de la cataracte, des précis de politique et de bonne gouvernance. L'on y découvre aussi une multitude d'informations sur le commerce, le prix du sel, des lois, un traité encore sur les méfaits du tabac, les maladies vénériennes alors que nous sommes au XVe siècle. D'autres textes dénoncent l'esclavage, alors que Tombouctou est une place importante de l'esclavage. Des correspondances, des poèmes sont encore consignés dans ces manuscrits, alors que d'autres attendent de révéler leur secret. Une civilisation des lumières, qui sera détruite par le sultan marocain El-Mansour, lors de l'invasion de Tombouctou et de la région, mais qui aujourd'hui reste vivace grâce à la découverte de ces manuscrits. La menace est bien sûr celle de la destruction, de la disparition parfois parce que mal conservé, mais aujourd'hui la plus grande menace est celle du pillage et de la marchandisation. La valeur inestimable de ces manuscrits ouvre la porte au trafic, et pour certains présents dans la salle "la razzia sur certaines pièces" par des émirats du Golfe répondraient bien plus à une ambition manifeste de "soustraire l'accès à ces manuscrits pour mieux assoir un islam standardisé". Aujourd'hui, il est important et urgent de protéger les manuscrits de Tombouctou, de les rendre accessibles, si un début de catalogage a été mené grâce à des fonds sud-africains, il faut que ce savoir soit partagé et que tout le monde puisse s'en emparer, car étant cette mémoire universelle de l'Afrique et de l'humanité. D. L Nom Adresse email