Des journalistes algériens visitent les bases américaines en Europe Jabari Lewis est un enfant de 11 ans qui vient de gagner le concours pour enfants du meilleur poster de cyber sécurité. Il fait partie de ces enfants de militaires américains qui vivent, sous les pins géants et dans un froid de canard, dans les Kelly Barracks, au cœur de la base de l'Eucom (le haut-commandement américain en Europe), à Stuttgart en Allemagne. C'est dans ce microcosme du Pentagone qu'on a été invités par l'Africom. "Embedded" pour une semaine (embarqué). En d'autres lieux, cet enfant dessinerait certainement des sapins de Noël. Mais dans l'univers des militaires américains, de la sécurité renforcée et de la paranoïa antiterroriste, l'enfance devient comme un paquetage de Marines. Trop lourd et trop encombrant. À Stuttgart, les Américains sont chez eux. Enfin, pas au sens colonial du terme. À peine 29 530 membres de la plus puissante armée du monde. Il faut dire que les circonstances historiques de leur arrivée dans cette ville industrielle allemande, où l'on croise autant de Porsche que de Maruti à Alger, sont un peu pénibles à raconter. Mais enfin, c'est de l'histoire, car au départ, les Américains avaient rasé... Stuttgart. Pour les amoureux des statistiques de la Seconde Guerre mondiale, Stuttgart avait enduré 53 bombardements massifs de l'aviation américaine, et les habitants ont vu larguer sur eux 14 200 bombes. 4000 civils ont été retrouvés sous les décombres. "Il y a eu aussi 1100 juifs qui ont été déportés de la gare de Stuttgart qui était au cœur du dispositif ferroviaire nazi", rappelle un expert des relations et de liaisons américano-germaniques. On a failli les oublier. "Mais on a déblayé 1,14 million de tonnes de débris en 8 ans pour reconstruire la ville", poursuit notre interlocuteur qui refuse d'être cité et parle sous le couvert de l'anonymat. Une communication qui ne déplairait pas au MDN ! Au-delà du côté historique indéniable, les militaires de l'Africom nous ont surpris par leur propension à dire tout sous le couvert de l'anonymat. D'ailleurs, dès notre arrivée à Stuttgart, un dimanche soir, aussi affamés que des détenus de Guantanamo qu'on venait de relâcher, la direction de la communication et des relations publiques avait glissé dans notre programme des festivités une note assez explicite. La liste des interdits est aussi longue que notre frontière avec le Mali. Il est interdit d'enregistrer, de filmer les conférences, de se faire photographier avec des soldats sans leur autorisation, de se perdre dans la base ou de prendre la pose devant la porte d'entrée. À telle enseigne que lorsque les militaires américains nous ont emmenés prendre des photos devant l'enseigne du commandement US pour l'Afrique, tout le monde s'est rué sur cette plaque. La photo est prise. Nos comptes sur Facebook venaient d'être sauvés. Il faut dire que ces règles ne nous sont pas étranges ni étrangères. Le dernier éditorial d'El-Djeich est revenu dans les mémoires, avec son lot de remontrances et de réprimandes, que le nouveau département de communication de l'armée s'est mis dans l'idée de dicter à la presse algérienne. Sauf, à la différence des interdits de l'Africom, qu'il y a la manière. Autant l'ANP se montre maladroite en étant directive, autant les communicants de l'armée américaine font en sorte que le journaliste se sente "libre" mais dans un cadre prédéterminé. Enfin, même si le résultat est le même, l'impact sur l'image de l'institution n'est pas identique. Une forme de censure sympathique. La visite en elle-même est à inscrire en droite ligne dans l'urgence des Américains à vouloir communiquer sur le rôle de l'Africom en Afrique, d'où l'utilité d'une opération spéciale : celles des relations publiques. Le tout est de savoir pourquoi maintenant ! Presque 7 ans après sa création ! Un lieutenant-colonel, dont on ne peut citer le nom, ressemblant de loin à Michael Douglas avec des lunettes, briefera, le premier jour, la délégation algéro-mauritanienne (car il y avait des journalistes mauritaniens, nous y reviendrons) sur le fait que l'Africom n'intervient, en termes d'aide à la coopération et en formation militaire, qu'à la demande du pays africain concerné. La question sur l'Algérie ne se pose pas, car on n'a jamais rien demandé, que l'apport de l'Africom pour le MDN dépasse à peine le million de dollars sur des programmes mineurs, et l'officier de l'Africom le reconnaît lui-même. "L'Algérie a une armée forte qui arrive, toute seule, à lutter aussi bien contre le terrorisme domestique qu'à sécuriser ses frontières." Voilà, c'est dit. On est les meilleurs au Maghreb. One, two, three, viva l'Algérie. Mais l'enthousiasme patriotique retomba aussitôt lorsque l'officier continua à distribuer des satisfecit aux autres pays dont le Maroc qui est également doté "d'une armée professionnelle et qui est notre plus ancien allié militaire" (les militants sahraouis peuvent témoigner à quel point elle l'est). Il en est de même des autres armées subsahariennes ! La fable de la base militaire US La leçon numéro deux de la communication militaire venait de commencer. L'Africom parle comme le département d'état américain, avec un langage diplomatique et une volonté manifeste de ne pas heurter le moindre des partenaires. Y compris les armées du Sahel dont le niveau laisse pourtant à désirer. Car l'Africom avait commencé par la polémique, notamment celles des bases à installer en Afrique, ou l'accusation de vouloir "militariser les relations avec les Africains" que le vice-commandant des opérations de l'Africom, le général Steven Hummer (tant pis je le cite), a catégoriquement démenti. 7 ans après, l'Africom a diagnostiqué un déficit d'images, ou d'adhésion, de la part des Africains, et a passée la vitesse supérieure afin d'expliquer ses véritables missions dans un continent brutalisé par les Français et transformé en un gigantesque parc de matières premières par les Chinois. Mais l'Africom est aussi un déficit dans l'action militaire. à force de privilégier l'humanitaire, l'assistance technique et l'action sociale, les militaires américains se sont coupés de leur corps de métier. Les événements au Mali ou au Niger leur ont donné l'opportunité de déployer entre 100 et 300 membres dont la plupart des instructeurs, des agents du renseignement militaire et des logisticiens, mais aussi une mini-base de drones de reconnaissance au Niger. Mais c'est loin des capacités de l'Africom. Alors que l'armée française, avec des moyens autrement plus faibles, lance ses blindés en Centrafrique et ses Rafale au Mali, les militaires américains prennent leur mal en patience en privilégiant les... diapositives. D'ailleurs, au second jour, l'attaché aux relations publiques, appelons-le Burns, était tout excité de nous annoncer que les Américains allaient prêter assistance à l'opération française qui se déroule en Centrafrique. Il allait y avoir de l'action. "Des troupes au sol ?", osa un confrère mauritanien, spécialiste des interrogatoires. Des Apache ? Des Navy Seals ? Non, l'apport américain est un vague soutien aérien pour le transport de troupes ou de logistique. Un accord secret avec l'ANP pour le traçage es armes Cette logique de rester en recul est une stratégie bien planifiée. Un diplomate présent sur place, qui ne veut pas être cité comme diplomate, insista d'ailleurs sur le fait que "la guerre est le dernier recours", et que les Américains privilégient la coopération à long terme : "Il y a toujours une crise en Afrique. Mais le plus important pour nous est de faire en sorte que les armées qu'on assiste travaillent à sécuriser leur peuple, à former leurs troupes et à agir selon les règles." Une philosophie diplomatique qui relègue plus le militaire en force d'appoint qu'en force de frappe et que les militaires américains acceptent et répètent à l'envi, surtout en direction des Algériens : "Les militaires sont sous la coupe des civils." Avis aux amateurs. Et c'est dans cette contradiction insoluble que semble vivre l'Africom. Une armée de professionnels, suréquipée, qui semble avoir les mains liées par une stratégie décidée à... Washington. Tout semble délicat à dire, à faire ou à entreprendre. Lors des conférences qui se succèdent entre pilotes de l'US Navy, de colonels experts dans les manœuvres maritimes ou les officiers de liaison de l'armée, le verbe est millimétré comme un tir de sniper. Les éléments de langage sont soigneusement distillés quelle que que soit la couleur de l'uniforme. Question : à quand une intervention militaire US en Afrique ? Réponse : "Nous préférons des réponses africaines à des questions africaines." Question : avez-vous envoyé des experts pour assurer des formations antiterroristes sur le terrain et accompagner les armées africaines ? Réponse : "Nous privilégions la formation des formateurs." Question : quelles formes prend l'assistance militaire américaine ? Réponse : "On fait en sorte que les Africains travaillent entre eux. Nous préférons le multilatéral au bilatéral." Et si par accident on évoque l'épineux dossier des fournitures militaires aux armées africaines, le stratège de l'IMET (coopération et formation militaire), un expert en planification, appelons-le Mister S., vous dressera le parcours de combattant que doit faire une requête d'une armée africaine pour aboutir. Et ceci après avoir signé un protocole de suivi des équipements, un monitoring (Blue, qui permet au Pentagone de suivre la destination finale du matériel, si jamais il est revendu à une tierce partie). Un protocole que l'ANP a signé confidentiellement il y a plus d'une année selon l'Africom, ce qui ne semble pas avoir rassuré les Américains. Est-ce qu'ils ne veulent pas que leur technologie aboutisse au...Polisario par exemple ! Des missions en hausse, des budgets en baisse Ce processus bureaucratique qui est plus complexe que l'obtention d'un passeport biométrique algérien en dit long sur ce que subit de plein fouet l'Africom. Cette machine militaire destinée à régner sur le continent noir est devenue un dédale bureaucratique. Et pour ne pas gâter les choses, les militaires américains doivent faire avec un budget de plus en plus en diminution. Les économies d'échelle décidées par Washington impactent le rôle de l'Africom, qui doit se montrer ingénieux pour trouver de l'argent ou économiser le faible budget qui lui reste. D'ailleurs, les conférenciers militaires posent ouvertement la problématique du manque de dollars. Le programme de coopération militaire avec 53 pays africains ne pèse pas plus de 50 millions de dollars. Celui global de l'Africom est de l'ordre de 515 millions de dollars qui ne sont rien par rapport aux 7 milliards de dollars que possède le département d'état pour gérer sa politique africaine. Et dans leur budget, tout y passe. Des manœuvres aériennes et maritimes à la lutte contre le narcotrafic, ou le narco-terrorisme, la lutte contre la piraterie maritime, la construction d'écoles, les programmes anti-pandémie et la lutte contre... Al-Qaïda. Et à force de leur parler du manque de fonds, les militaires américains sont devenus ingénieux pour rendre les factures supportables, au point d'imprimer les feuilles en recto-verso et en appelant à des contractants privés pour gérer leur cuisine ou de supprimer même les serviettes des salles de gym, trop coûteuses à entretenir ! Mais la force des militaires américains semble l'adaptation autant aux conséquences budgétaires qu'aux menaces africaines. Et en parlant de menace, nous, Algériens, étions préoccupés par un de nos amis mauritaniens. Parmi la délégation venue de Nouakchott, émergeaient deux jeunes journalistes faisant partie des agences internet que sont l'ANI et Sahara Medias. Ceux qui avaient relayé en temps réel les exigences de Mokhtar Belmokhtar lors de l'attaque terroriste de Tigentourine et la prise d'otages par cette branche d'Aqmi étaient présents, devant nous, studieux, prenant des notes. La pause-café étant arrivée, on a dû nous convaincre mutuellement à renoncer à notre projet immédiat d'attraper l'un de nos confrères mauritaniens dans les toilettes du mess des officiers afin de lui faire cracher le morceau : où se trouve Belmokhtar ? C'est vrai qu'on aurait poussé le zèle de répondre à l'appel à la responsabilité, du patron de l'armée algérienne, le général Gaïd Salah, un peu loin, mais on aurait, au moins, la satisfaction du devoir accompli et de revenir en Algérie avec un précieux renseignement. En héros. Enfin, le journaliste mauritanien ne s'est pas rendu aux toilettes. La coopération interafricaine était sauve. M. B. Nom Adresse email