Le Premier ministre turc n'a pas fini de broyer son pain noir. Après la révolte des laïcs et démocrates contre son pouvoir islamiste de juin dernier, voilà qu'il affronte ses propres juges, qu'il n'a pas réussi à apprivoiser et à dompter, comme il l'a fait récemment avec l'armée mise au pas après la traduction en justice d'une centaine de ses hauts cadres. La justice turque a placé en début de semaine en détention les fils de deux ministres proches de Recep Tayyip Erdogan dans une affaire de corruption sans précédent qui éclabousse et déstabilise le sommet de l'Etat turc, entre les mains des islamistes : le gouvernement, le Parlement et la présidence de la République. Des tuiles qui tombent sur sa tête à quatre mois des élections municipales. Comme lors de la violente fronde antigouvernementale de juin dernier menée par les anti-islamistes, Erdogan a riposté quelques heures plus tard en dénonçant un "complot venu de Turquie et de l'étranger", destiné à faire tomber son gouvernement. Un discours, certes, éculé à l'heure des nouvelles technologies de communication mais toujours prenant auprès des militants et de la clientèle des islamistes. "Tout ceci est un sale complot contre la volonté nationale", a vitupéré le Premier ministre turc devant des milliers de fidèles à Samsun dans le nord du pays majoritairement acquis au projet islamiste. Menaçant comme tout autocrate et fascisant, Erdogan a juré de mettre un terme à "ce vilain jeu", de la même façon qu'il a mis un terme aux manifestations de Gezi. En juin dernier, Erdogan a fait donner toutes les forces de sa police pour empêcher la propagation de la révolte partie de la vieille place d'Istanbul, symbole d'une Turquie tracée par Atatürk, laïque, ouverte sur toutes les cultures et jalouse de sa propre histoire, notamment de son islamité fondée sur la tolérance. Le Premier ministre avait même essayé de monter les Turcs contre eux- mêmes, islamistes contre laïcs, alors que la question kurde est loin d'avoir trouvé une solution. Au contraire, les islamistes, avec leurs exclusions et anathèmes, ont exacerbé la question. En révélant au grand jour sa volonté de régner en maître absolu, Erdogan a mis en danger l'entrée de son pays au sein de l'Union européenne. À sa grande satisfaction et des islamistes de l'AKP, avec lesquels, il voit dans l'entrée à Bruxelles, la perte de l'âme turque. D'ailleurs, Erdogan aura passé ses douze années de pouvoir à détricoter les relations de son pays avec l'Occident pour les développer avec le monde musulman dont le marché est plus porteur. C'est ce qui a expliqué en grande partie le succès de son pouvoir. Avec sa nouvelle orientation commerciale et financière, la Turquie d'Erdogan a sans conteste changé sa physionomie : nette amélioration du niveau de vie des classes populaires, arrivées de nouvelle classes moyennes islamistes, urbanisation accélérée et assez réussie, développement de régions et société agraires... D'où les victoires électorales consécutives de l'AKP et même si le parti islamiste a perdu des voix ces dernières années. Des pertes qui marquent les limites du modèle mais peu significatives en termes de voix électorales, du moins jusqu'à la révélation de ces scandales liés à la corruption. Ce délit est impardonnable aux yeux de la grande masse d'islamistes. D'où la panique chez Erdogan, plus préoccupé que lorsqu'il avait affaire à la minorité laïque même si celle-ci est remuante et soutenue par les opinions occidentales. Très remonté, Erdogan en a profité pour menacer d'expulsion les diplomates étrangers engagés dans des actions de provocation, dans une mise en garde voilée à l'adresse de l'ambassadeur des Etats-Unis. Erdogan ne s'avoue pas pour autant vaincu, bien que sérieusement ébranlé par cette tempête politico-financière. Il a lancé une purge sans précédent dans la hiérarchie de la police ! Erdogan reproche à une cinquantaine d'officiers démis de leurs fonctions depuis mardi, dont le préfet de police d'Istanbul, des abus de pouvoir, en l'occurrence de ne pas avoir mis dans la confidence leur tutelle politique de l'enquête qui la vise. Comme l'AKP avait affiché la lutte contre la corruption en tête de ses priorités, Erdogan cherche à faire diversion en dénonçant depuis vendredi soir une campagne de lynchage contre son gouvernement. Et comme il en faut plus pour convaincre ses ouailles islamistes, il a également pointé du doigt la puissante confrérie du prédicateur Fetullah Gülen, très influente dans la police et la magistrature. Alliée de l'AKP depuis son arrivée au pouvoir en 2002, cette organisation est entrée en guerre contre Erdogan à cause d'un projet de suppression d'écoles privées, illustrant les failles qui lézardent désormais la majorité islamiste. D. B Nom Adresse email