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Plusieurs dizaines de blessés et des magasins incendiés dans des affrontements intercommunautaires
Déchaînement de violence à Ghardaïa
Publié dans Liberté le 28 - 12 - 2013

On ne reconnaît plus la ville de Ghardaïa, "pentapole du désert", chantée par Michel Sardou au milieu des années 80, jadis havre de paix et mecque des téméraires touristes occidentaux.
Aujourd'hui, elle n'offre plus que l'image d'une ville qui s'ennuie, livrée épisodiquement à la vendetta et dont les jours sont rythmés désormais par des poussées de violence. Jeudi, elle a connu un déchaînement de violence sans commune mesure avec le flegme et le calme qui ont toujours caractérisé ses habitants.
Entre les deux communautés arabe (malékites) et Ibadite (mozabites), ce n'est pas le parfait amour, en dépit d'une cohabitation, vieille de plusieurs siècles. Au quartier Beni Merzoug (aujourd'hui appelé haï El-Moudjahidine), habité en majorité par les Arabes, appelé aussi Zgag lihoud, du nom des juifs qui y étaient établis avant leur départ à l'Indépendance du pays en 1962, en contrebas du vieux ksar de Ghardaïa, des affrontements violents, à l'aide de cocktails Molotov, de pierres et d'armes blanches, opposaient les jeunes des deux communautés depuis les premières heures de la matinée. Des maisons et des magasins appartenant pour la plupart aux Mozabites sont saccagés et incendiés. La veille, déjà, les affrontements, commencés deux jours plutôt, n'ont cessé qu'à une heure tardive de la nuit. Le plus grand de Ghardaïa, le cimetière Ammi-Saïd s'est transformé en un immense champ de bataille. Des habitants du quartier Hadj Messaoud, pour la plupart arabes, et ceux du quartier Mermad, également habité majoritairement par les Arabes, ont mené un assaut, à travers le cimetière dont un mur a été démoli — perçu comme une profanation par les Mozabites — à coups de pierres et de cocktails Molotov sur les Mozabites du vieux ksar, situé de l'autre côté du oued M'zab. Depuis le grand minaret du Ksar, construit en 1053, on peut aussi observer les affrontements à coups de pierres entre les jeunes des deux communautés au cimetière Cheikh-Baba-Salah, appartenant aux Mozabites, zone tampon et ligne de séparation entre les quartiers des deux communautés. Selon un bilan fourni par un technicien de la santé qui s'employait à prodiguer des soins aux blessés, dans une maison aménagée en dispensaire au sein du Ksar, on dénombrait jeudi, en milieu d'après-midi, quelque 125 blessés parmi les Mozabites dont 10 dans un état grave.
"Certains ont été touchés par des balles en caoutchouc", témoigne-t-il. Mais il n'est pas aisé de confirmer ces bilans car souvent les blessés ne sont pas évacués dans les hôpitaux, de crainte d'être arrêtés par les services de sécurité. Une autre source fait état de plus de 320 blessés, de plus de 20 magasins brûlés, de 55 maisons saccagées et des tombes profanées, rien que pour la journée de mercredi. D'après une autre source, une cinquantaine de blessés est également enregistrée parmi la police dont un dans un état grave, tandis qu'une trentaine de personnes ont été arrêtées. Mais, nous n'avons pas pu confirmer ces chiffres.
Les commerçants, on déménage !
Entamée depuis mercredi, la grève ouverte des commerçants dans la ville de Ghardaïa, lancée par l'Union locale des commerçants et des artisans, a connu, depuis jeudi, un développement qui risque d'affecter sérieusement l'économie locale, d'autant que cette période de l'année qui coïncide avec les fêtes de fin d'année est réputée comme étant la plus prospère, notamment pour les artisans. En raison de l'escalade de la violence, plusieurs dizaines de commerçants, pris de panique, ont dû vider leurs magasins et déménager vers d'autres endroits plus sûrs. Centre névralgique de Ghardaïa, la place du marché, jadis point de chute des touristes, est devenue fantomatique. Seul le siège de la section locale du FFS et celui de la Laddh, située à un jet de pierres de cette place, demeurent ouverts et transformés en QG pour la collecte d'informations sur l'évolution de la situation.
Pour les commerçants, il est hors de question de rouvrir tant que "la sécurité totale n'est pas rétablie dans toute la ville de Ghardaïa, particulièrement dans les zones commerçantes", "trouver une solution radicale et définitive à ces affrontements dont les commerçants en payent le tribut" et enfin "sanctionner les auteurs du saccage" et "indemnisation immédiate de toutes les victimes et les commerçants touchés". Selon Mustapha Sioussiou, responsable de l'UGCA, les commerçants de Ghardaïa ont décidé ce vendredi de restituer leur registre de commerce.
Un "mur de Berlin" de... CRS
"Eloigne-toi, sinon ils vont dire que nous sommes avec vous !" C'est le témoignage d'un résident, issu d'une wilaya du nord du pays, non loin du Ksar de Ghardaïa qui a entendu un policier s'adresser à une jeune Arabe impliqué dans les affrontements. Mise à l'index depuis les évènements de Guerrara, la police locale semblait avoir du mal à maîtriser la situation et à séparer les deux belligérants. Il faut dire que la structure architecturale du Ksar, fait de dédales et de labyrinthes, n'est pas de nature à leur faciliter la tâche pour le rétablissement de l'ordre. Mais les Mozabites sont formels : la police est complice des Arabes, d'autant que les bombes lacrymogènes sont tirées vers les maisons des Mozabites. Des vidéos sont même prises depuis les terrasses et dans lesquelles on distingue nettement, notamment dans les cimetières Ammi-Saïd et Cheikh-Baba-Salah, des jeunes en train de jeter des pierres en direction des Mozabites devant ce qui semblait être comme une passivité des policiers. "Il y a une volonté de pourrir la situation. Quand un policier est raciste, ça devient grave !" accuse Kamel Eddine Fekhar, défenseur des droits de l'Homme. C'est pourquoi aujourd'hui, ils réclament la présence des gendarmes. Venus en renfort depuis plusieurs wilayas, des brigades antiémeutes ont pris position dans de nombreux endroits sensibles de la ville. Au boulevard attenant au quartier Hadj-Messaoud, ce vendredi, une colonne des éléments des brigades antiémeutes, casques, matraques et boucliers à portée de main, ont dressé un véritable "mur de Berlin" pour empêcher les jeunes de ce quartier d'aller en découdre avec les Mozabites. Raison invoquée par certains jeunes des quartiers arabes interrogés ? Ce sont les Mozabites qui ont mis le feu aux poudres après avoir blessé un jeune à l'aide d'une pierre jetée d'une terrasse. "C'est eux qui nous provoquent, ils ont gravement blessé un des nôtres", accuse un groupe de jeunes Arabes. "On n'a aucun intérêt à créer la tension et à fermer nos magasins", réplique Hamou Mesbah, responsable fédéral du FFS. En dépit des appels au calme lancés par les notables, les imams de chaque communauté et la radio locale, la situation demeure précaire. Et la tension vive. Ce vendredi, le wali et les autorités locales étaient encore en conclave pour tenter de trouver une solution à ce problème complexe et compliqué. Un problème qui devrait probablement nécessité l'arrivée d'un nouveau... Mandela.
K. K.
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