Début de semaine des plus chauds dans le secteur de l'éducation nationale. Les établissements scolaires entament aujourd'hui "la semaine de toutes les grèves". Qui aurait cru que les différents syndicats, qui, leadership oblige, ont consommé leur divorce depuis plus d'une année, font à nouveau alliance sur le terrain de la protestation. N'allant pas jusqu'à passer l'éponge et faire front commun ouvertement, des syndicats se soutiennent pour mieux servir leur cause en optant pour le même calendrier dans l'organisation de la grève. Résultat : la paralysie quasi totale des écoles sur le territoire national. Et pour cause, trois importants syndicats feront leur grève cette semaine et, inévitablement, il y aura des jours où le mouvement des trois coïnciderait à la même date. L'Unpef reconduit son débrayage à compter de ce matin, le Snapest lance sa grève de trois jours à partir de demain et le Cnapest-élargi se contentera d'une journée de protestation demain également. Et quand on sait que les trois organisations syndicales couvrent les trois paliers et y sont largement représentatifs, il est aisé d'imaginer l'ambiance dans les écoles. À plus forte raison quand, pour une fois aussi, l'Unpef mobilise ces nombreuses commissions représentant diverses personnels en même temps. Instituteurs, enseignants, directeurs et censeurs, corps communs, ouvriers professionnels, agents de sécurité, conseillers d'éducation... débrayent pendant toute la semaine. Autant dire que les écoles sont livrées à elles-mêmes. Qui s'en soucie ? Personne, apparemment. C'est du moins ce que laisse croire le mutisme des responsables et de toutes les parties concernées qui jouent aux téléspectateurs alors que des millions d'élèves sont privés de cours pour la deuxième semaine consécutive. Les constats et l'analyse des réactions à cette grève montrent que l'intérêt que porte le gouvernement au secteur de l'éducation n'est pas aussi important que le gros budget qui lui est injecté chaque année. Commençons par le premier responsable du secteur, Baba Ahmed, qui était très réceptif aux doléances des syndicats, avant de lâcher du lest. Mais il se dit, désormais, incapable de faire et de donner plus car le reste des revendications des partenaires sociaux ne relève pas uniquement de ses prérogatives. Ce qui est vrai. Même si l'on pourrait croire qu'il dispose forcément d'arguments pour convaincre ses collègues au gouvernement et des responsables de la Fonction publique. Pris par d'autres obligations beaucoup plus importantes, le Premier ministre n'a toujours pas trouvé le temps de répondre aux maintes interpellations des syndicats et des parents d'élèves. Aucune déclaration n'a été faite sur la grève des écoles. Pas la moindre petite allusion ou appel à la sagesse afin de faire revenir les grévistes à de meilleurs sentiments. La paralysie des établissements scolaires est, selon toute vraisemblance, un non-événement pour le gouvernement. Chose, somme toute, attendue en cette période préélectorale en perspective de la présidentielle d'avril 2014. Le rendez-vous électoral relègue-t-il au dernier plan l'avenir de millions d'élèves censés être bien formés pour assurer la relève ? Entre le droit à la grève et le droit à l'enseignement Les instigateurs du mouvement de protestation sont, quant à eux, pointés du doigt et accusés de tous les maux. Ils sont tenus pour premiers responsables de l'instabilité de l'école algérienne. Ils sont assez souvent jetés à la vindicte populaire car pour le commun des citoyens, entre le droit à la grève et le droit à l'enseignement, garantis tous deux par la Constitution, les syndicats ont vite fait leur choix en pénalisant les élèves. Des "accusations" dont ils se défendent, et avancent leurs arguments et leurs propres lectures de la situation. Ils sont unanimes à dire qu'ils sont "contraints d'aller vers le débrayage vu la sourde oreille, voire la non-concrétisation aussi des engagements tenus et consignés sur des PV officiels". Snapest : "La grève est, hélas, notre unique moyen de pression" Le Snapest entame demain une grève de trois jours qui risque d'être reconduite au cas où la tutelle n'ouvrivrait pas des "négociations et non un dialogue". Les élèves otages des syndicats ? Le coordinateur national du Snapest réplique d'emblée : "Malheureusement, ce sont les aléas du syndicalisme. Quand le médecin fait grève, le malade est pénalisé, et quand le transport fait grève, ce sont les usagers qui en sont pénalisés... L'élève est, certes, pénalisé par la grève des enseignants, mais c'est hélas notre seul moyen de pression. Nous avons tenté de faire des sit-in, nous en avons été empêchés et bastonnés, et faire des marches nous est interdit. Malheureusement, il ne nous reste que le débrayage. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés et attendre." Signalons que "même les propres enfants des syndicalistes sont pénalisés au même titre que les autres élèves". Meziane Meriane dira que "le débrayage aurait pu être évité si les négociations avaient abouti et si la tutelle ne nous avait pas exclus de la commission ad hoc qui a élaboré le statut avec d'innombrables bavures, que nous essayons de corriger aujourd'hui. Nous avons été exclus après 10 rencontres. Et voilà le résultat". Pour le coordinateur du Snapest, "si les syndicats n'étaient pas exclus, on ne serait pas arrivés à cette grève". Et de s'interroger : "Le ministre dit que nos doléances le dépassent, alors pourquoi nous refuse-t-on une réunion avec les secteurs concernés ? Il faut nous mettre face à ces responsables pour éviter le conflit." Cnapest-élargi : "Il y a un complot pour casser l'école publique !" Le Cnapest-élargi, dont les adhérents débrayent depuis mardi, fait une toute autre lecture de la situation. Pour le chargé de communication, "l'instabilité du secteur est voulue et est soutenue par des parties qui veulent préserver leurs intérêts et leurs postes. Il y a un complot qui vise à casser l'école publique en détournant le regard des parents d'élèves et l'opinion publique des véritables problèmes du secteur en le plongeant dans l'instabilité, le blocage et le pourrissement". Messaoud Boudiba estime que "si la tutelle voulait la stabilité de l'école, elle aurait répondu aux doléances soulevées dont les solutions ne sont nullement contraignantes. Pourquoi refuser une réunion avec les secteurs concernés par les revendications en suspens ?" Pour lui, "la situation est anormale. Signer des PV et fixer des dates officiels et, par la suite, se désengager de ses promesses en opérant un changement radical de position dénote d'une volonté de pousser au pourrissement. Au lieu de baisser la tension, la tutelle n'a fait que rajouter de l'huile sur le feu". Pourtant, regrette Boudiba, "nous avons cru après le gel de la grève d'octobre 2013 que de nouvelles passerelles de confiance et dialogue fructueux et permanents ont été établies avec le ministère. On s'est beaucoup rapproché de la stabilité qui nous aurait permis de passer à la résolution des problèmes pédagogiques". Et de signaler que "le recours à la grève a toujours été l'ultime solution qui nuit beaucoup aux enseignants car ils font face à diverses pressions et se sentent lâchés par leur tutelle. Ils sont donc contraints de réagir et de se défendre via la grève qui ne signifie pas que leurs intérêts passent avant ceux de l'élève, car le travail de l'enseignant ne vaut rien sans l'élève". Question : "L'année dernière a été plus ou moins stable par rapport aux autres. La tutelle a-t-elle mis à profit cette stabilité ?" s'interroge Boudiba. Unpef : "Lenteur et non-crédibilité des PV signés" L'Unpef, qui mène la fronde et menace de durcir le mouvement de protestation, renvoie, elle aussi, la balle au camp de la tutelle. L'ultime recours est justifié "par la lenteur dans la prise en charge des doléances soulevées, notamment les points les plus urgents qui concernent divers corps de travailleurs". L'Unpef, qui se défend d'avoir usé d'emblée du droit de grève, rappelle qu'il a été accordé assez de temps au ministère, et ce, même après le dépôt du préavis de grève. Le syndicat est allé jusqu'à tenir un point de presse pour expliquer à l'opinion publique les motifs de son mouvement de protestation. "La tutelle nous a conviés à une rencontre après le dépôt du préavis de grève. Celle-ci a duré plus de six heures et a été suivie par des rencontres marathon pour débattre des revendications, notamment les plus urgentes", soutient le syndicat. Et de regretter qu'au moment où "on s'attendait à des solutions et des mesures concrètes visant l'application des engagements tenus, et ce, avant le 31 décembre 2013, nous avons été surpris de constater que la tutelle voulait juste gagner du temps". Une position "regrettable qui nous pousse à nous interroger sur la crédibilité des PV officiels, signés entre les deux parties, et qui devaient nous départager et constituer une référence". Pour l'Unpef, "la tutelle adopte depuis 2012 la politique de la lenteur et tente de gagner du temps sans solutionner les problèmes. Et c'est cette position négative qui a conduit à la grève qui aura des conséquences négatives sur le cursus des élèves". Les élèves, éternels perdants Déjà en temps normal, rares sont les élèves qui arrivent à réaliser des exploits. Les résultats du 1er trimestre, qui a pourtant été calme, ont été catastrophiques, alors qu'en serait-il pour un trimestre aussi pauvre en cours. N'est-il pas temps de se pencher sérieusement sur cette éternelle contestation qui empoisonne un secteur aussi sensible ? Les rounds de négociations n'aboutissent pas à du concret, mais fournissent au ministère un argument pour tenter de prouver sa bonne foi. Le département de Baba Ahmed n'a de cesse clamé sa disponibilité au dialogue avec les syndicats. Mais, suffit-il de se mettre autour d'une table et de ressasser les mêmes doléances et les mêmes positions pour régler le problème ? M B Nom Adresse email