Fadhila Boumendjel-Chitour est professeure à la faculté de médecine d'Alger. Membre fondateur du réseau Wassila, elle est également vice-présidente d'Avife (association appartenant au réseau Wassila). Liberté : Quel regard portez-vous sur l'état de lieux concernant la condition de la femme en Algérie ? Fadhila Boumendjel-Chitour : C'est un état des lieux très contrasté. Nous ne pouvons pas nier les acquis obtenus depuis l'indépendance du pays, ne serait-ce qu'en matière d'accès à la scolarité, à la santé et au travail. Mais, ces acquis sont d'une grande fragilité et peuvent être remis en cause pour les femmes, quels que soient leur âge et leur niveau social. Toutes les femmes algériennes, et c'est ce qui fait d'ailleurs notre condition commune, sont menacées, car nous sommes soumises à l'arbitraire et parce qu'il y a, dans le cadre patriarcal, une structure sociale et juridique qui soumet les femmes à la domination masculine. Le patriarcat a structuré la société de manière inégale, en institutionnalisant cette domination. Mais, cette situation n'est pas propre à l'Algérie. La situation ne changera pas tant que ces acquis d'égalité ne sont pas consolidés par une égalité fondamentale. Comme je viens de le dire, la situation est encouragée par la structure même de la société patriarcale, qui se donne une force par l'interprétation de la religion, des préceptes religieux. En Algérie, il y a la Constitution qui consacre l'égalité entre les femmes et les hommes, et le code de la famille qui maintient la femme dans un statut d'infériorité. Ce qu'on nous donne d'une main, on nous le reprend de l'autre. Vous faites allusion au code de la famille ? Les droits que les femmes acquièrent sont en réalité remis en cause par le code de la famille. La structure inégalitaire de ce code demeure, en matière de mariage, de divorce, sans parler des injustices dans l'héritage. De plus, sur le terrain, nous rencontrons des femmes jetées à la rue avec leurs enfants, quels que soient leur âge et leur niveau social. Nous avons reçu dans le centre d'écoute (du réseau Wassila, ndlr) des femmes au foyer, des femmes non instruites et des universitaires, des magistrates et des policières. Il y a bouleversement de leur vie à partir du moment où la domination du père, du mari ou du frère s'est exercée sur elles. Pour les femmes mariées, certaines restent dans le domicile conjugal, car elles n'ont pas où aller et sont alors soumises au viol conjugal. C'est tragique ! C'est vous dire que ces droits formels et constitutionnels sont d'une grande fragilité, dans la pratique. Le code de la famille doit être considéré comme une violence institutionnelle. Il doit être abrogé. Dr Chitour, des décisions ont été prises, ces dernières années, par le président de la République, en faveur de la participation politique de la femme. Votre avis là-dessus ? J'ai envie de dire que le contexte dans lequel a été décidée la participation des femmes à la vie politique est contestable et presque déshonorant. Cette décision est intervenue au moment d'un coup de force constitutionnel, pour un pouvoir personnel à vie. C'est un contexte qui ne privilégie pas le débat autour d'une question aussi importante. Il n'y a même pas eu de concertation avec les intéressées. Donc, ce sont des mesures prises dans la précipitation et la légèreté. D'ailleurs, on se rend compte que ces décisions n'ont eu aucune conséquence positive dans la vie politique... Par exemple, les problèmes des femmes n'ont pas été pris en compte à bras-le-corps, comme nous l'espérions, par les femmes élues ou les ministres qui étaient chargées des questions des femmes. Mais, c'était prévisible, car le préalable à cette discrimination positive est l'Etat de droit, le respect de toutes les libertés. Dans notre pays, les libertés privées des femmes, pour ne citer que celles-là, sont très fragiles. Tant que nous n'avons pas réglé la question des lois égalitaires et du respect des libertés, les mesures prises en faveur de la participation des femmes à la vie politique n'auront pas beaucoup de sens. La participation politique des femmes à la politique nécessite un apprentissage par palier dans la vie politique, dans la vie publique. On ne peut pas être parachuté à l'APN sans avoir une expérience de la vie associative ou politique. Commençons donc par construire un Etat de droit, ensuite on parlera des quotas et de parité ! Que pensez-vous de la politique de lutte contre les violences faites aux femmes initiée par le gouvernement ? Il ne faut pas nier le fait universel sur les violences contre les femmes : ces violences existent malheureusement et sont partout, surtout dans l'espace privé. Il faut savoir que 80% des violences faites aux femmes sont domestiques, c'est-à-dire familiales et conjugales. Mais, qu'est-ce qui différencie les sociétés ? Dans les Etats de droit, il y a une prise de conscience de la nécessité de protéger les femmes contre ce fléau et de prendre les mesures pour organiser cette protection. En Algérie, la femme est sans protection dans l'espace privé. Le droit et la justice y sont enlevés. Mais alors, de quoi souffre le dispositif de lutte contre ces violences ? Les programmes initiés par notre pays restent superficiels, sans continuité. Ils ne sont pas basés surtout sur des lois et des mesures d'application de ces lois. Il est aberrant, par exemple, que la violence conjugale ne soit pas considérée comme un délit ! Il est urgent que nous adoptions une loi criminalisant les violences faites aux femmes et c'est d'autant plus possible qu'il y a un avant-projet de loi qui, à l'initiative des associations de femmes, a été déposé au bureau de l'APN, en 2012. Le texte existe donc, il ne reste qu'à le discuter et à l'adopter. Nous interpellons les pouvoirs publics pour aller jusqu'au bout de l'adoption de cette loi, en insistant aussi pour que cette loi soit complétée par des mesures, afin d'améliorer le statut des femmes et pour punir les agresseurs. H. A Nom Adresse email