La montée en cadence de la diplomatie de l'Arabie Saoudite au sein du Conseil de coopération du Golfe (CGC) et du Moyen-Orient par ricochet est significative de changements à l'œuvre dans cette vaste région poudrière et qui se prolonge jusqu'au Maghreb. Le Qatar, qui était à la pointe cette dernière décennie après avoir été choisi par les Etats-Unis pour supplanter son puissant voisin saoudien accusé à demi-mots de sponsor de l'islamisme radical qui a donné naissance aux talibans puis à Al-Qaïda, est en net recul. Le nouvel émir du richissime bac à sable du CGC, Cheikh Tamim Bin Hamid Bin Khalifa Al-Thani n'a pas la poigne de son père qu'il a mis à la retraite le 25 juin 2013 avec l'assentiment de Riyad qui pensait mieux tenir le fils. Mais le vieux roi d'Arabie Saoudite a mal calculé sa colère puisque Tamin a refusé d'obtempérer aux injonctions du CGC repassé entre les mains de Riyad. L'organisation des rois et émirs du Golfe arabe avait exigé de Doha l'abandon de ses soutiens aux Frères musulmans et aux djihadistes en action notamment en Syrie. Refus catégorique du petit Qatar censé avoir adhéré à la résolution lors d'un mini-sommet organisé le 23 novembre 2013 à l'initiative de l'émir du Koweït, cheikh Sabah Al-Ahmad Al-Sabah. Celui-ci et le roi Abdallah d'Arabie Saoudite avaient également exigé de Tamin le rappel à l'ordre de sa chaîne Al-Jazeera qui, selon eux, menace la stabilité des régimes arabes autant que les groupes terroristes. Cette chaîne, diffusant depuis le 1er novembre 1996, fut parfois qualifiée de "CNN arabe" en Occident dans la mesure où elle demeura longtemps le seul média panarabe à inviter des activistes islamistes aux régimes de la région. Elle est de fait devenue l'outil privilégié des "printemps arabes" dont elle a récupéré la lame de fond populaire en aidant les islamistes à spolier les révoltes contre les dictateurs Ben Ali, Moubarak, Kadhafi. Le petit émirat jouera dans la cour des grands grâce à ses fonds d'investissement et à l'argent jeté par les fenêtres sur les people et jet set occidentaux. Rapidement, il a été compris que l'ouverture de Doha ne se limite pas qu'à la modernité architecturale, au capitalisme financier, au consumérisme halal et au showbiz. Le pays n'a rien de libéral, il est géré de main de fer, la démocratie, même islamique à la turque, n'y est pas bienvenue. La tolérance aussi. Les Bin Hamid Bin Khalifa al-Thani avaient dissous en 2011, au début des "printemps arabes", Al-Islah, branche du Golfe des Frères, lorsque ce mouvement appela à utiliser la démocratie pour démanteler les monarchies musulmanes. Ils baigneront dans le sang, leur a promis le chef de la police émiratie. Le Qatar comme l'Arabie Saoudite et les autres membres du CGC, ont une même aversion pour la démocratie et les élections libres. L'Arabie Saoudite en s'en prenant au Qatar a atteint deux objectifs. Récupérer sa place de leader dans la région, soutenir la contre-révolution dans les pays du printemps arabe et éradiquer les Frères musulmans suspectés par le chef des services des Etats arabes unis (EAU) au temps du président égyptien Morsi, issu des Frères, de participer au complot visant à remplacer les dynasties du Golfe par un "néo-califat" dont les Frères musulmans égyptiens seraient le noyau central avec le Hamas palestinien... D'où la condamnation récente des Frères par Riyad et leur choix de n'aider que les salafistes hostiles à toute forme de démocratie, contrairement aux Frères qui prônaient des élections libres. D'ailleurs, l'aversion pour les Frères ne date pas d'hier. Le contentieux entre l'Arabie Saoudite et les Frères culmina à la fin des années 1990, lorsque le Hamas palestinien, issu des Frères, qui gagna en 2005 les élections à Gaza, se joignit à l'axe chiite anti-impérialiste Iran-Syrie-Hezbollah. La fracture atteint son paroxysme avec le "printemps arabe", sachant que ceux qui avaient été jadis accueillis par l'Arabie Saoudite lorsqu'ils étaient persécutés sous l'Egypte de Gamal Abdel Nasser ont depuis participé à toutes les contestations subversives. Pour l'Arabie Saoudite, les succès électoraux des Frères musulmans en Egypte, en Tunisie ou ailleurs ont constitué donc un réel danger, comparable à la subversion chiite iranienne dans la région. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'Arabie Saoudite a accueilli le dictateur tunisien Ben Ali. Les wahhabites jouent donc à fond la carte des anti-Frères en Egypte et ailleurs. Le prêt bonifié de 12 MDS à l'Egypte qui a chassé Morsi et les Frères musulmans, a confirmé cette alliance de l'Arabie pour de nouveaux équilibres dans la région, voire dans le monde arabe. A la stratégie islamiste "révolutionnaire-subversive" du Qatar, la dynastie des Saoud, les Emirats, le Koweït, Oman et Bahreïn, opposent dorénavant la stratégie wahhabite conventionnelle qui s'accommode de régimes dictatoriaux pourvu qu'ils n'essayent pas d'exporter la subversion islamiste. En fait, Riyad prépare le moment où les Etats-Unis libérés de leur dépendance énergétique pourraient se passer de l'Arabie Saoudite, donc plus à même d'exercer des pressions à son encontre. D. B Nom Adresse email