Ils étaient cinquante-sept quand les tranchées de la Grande Guerre s'embourbaient de crasse, de sang, d'obus et de mitrailles... Ils étaient cinquante-sept à s'acharner contre des hommes qu'ils ne connaissaient pas, à se battre pour une patrie qui n'était pas la leur... Cinquante-sept à être dans la grisaille des boyaux de la guerre, malgré eux... Tapis au fond d'abris insalubres, ils appréhendaient d'être gazés par les soldats aux casques blindés, cependant qu'ils ne s'arrêtaient pas de rêver au ciel bleu d'Afrique, et à s'accrocher aux rythmes fiévreux du bendir* ancestral, et aux soupirs nostalgiques de la flûte aux sons langoureux. Aujourd'hui, un siècle après, ils reposent à l'orée d'un cimetière boisé, à Sarrebruck en Allemagne, non loin de la ville française de Forbach. Un cimetière où le silence écoute religieusement le chant strident des chardonnerets, à l'ombre de verts feuillages. Les pierres tombales de leurs dernières demeures, frappées du croissant et de l'étoile de leur religion, jonchent dans la clarté du jour le parterre d'un carré tapissé de feuilles mortes de l'automne dernier. Pendant la Première Guerre mondiale, ils ont appartenu aux 10e, 11e, 20e, 26e, 31e, 33e, et 39e régiments des tirailleurs algériens de l'armée française. Ils avaient combattu pour la France, sur les champs de bataille de Moselle et de la Sarre, de 1914 à 1918. Ceux des 10e et 11e régiments sont décédés en 1920, quant à ceux des 20e, 26e, 31e, 33e et 39e régiments, ils sont morts en 1921, c'est-à-dire deux et trois ans après la fin de la guerre. De quoi ont-ils péri ? Des séquelles de graves blessures, ou encore des effets du gaz de l'armée allemande ? La question réside là. Aujourd'hui, un siècle après, leurs âmes tourmentées continuent à errer, faute de ne pas pouvoir transmettre aux leurs les circonstances de leur décès. À la mi-février 2014, des hommes de toutes confessions ont uni leur prière pour le repos de leurs âmes, et ont décidé d'assumer un devoir de mémoire, en lançant un appel à témoin afin d'apporter des réponses cohérentes à toutes ces interrogations. Les cinquante-sept tombes du cimetière de Sarrebruck cesseront-elles enfin d'être des tombes orphelines ? Liste des tirailleurs enterrés dans le cimetière de Sarrebruck Omar Mokhtar Chaalal * le bendir : instrument de percussion traditionnel maghrébin. Nom Adresse email