C'est avec beaucoup de tristesse que j'apprends, ainsi que mes collègues, le décès de l'historien Jean-Luc Einaudi. Cet éducateur auprès de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) du ministère de la Justice, très proche des enfants des banlieues et des immigrés et par ailleurs homme engagé et journaliste à L'Humanité rouge, allait très tôt être attiré par les luttes anticoloniales, du Vietnam à l'Algérie. Il commença à s'intéresser à la guerre de Libération en Algérie à un moment où les universités française et algérienne ne ciblaient encore l'évènement que de manière marginale. En fait son attention fut tout d'abord attirée par la répression menée en France même contre les Algériens, en centrant surtout ses recherches sur les massacres d'Octobre 1961 à Paris. Ce travail sera l'un des premiers menés sur la question après celui, pionnier, de Paulette et Marcel Péju (dont l'ouvrage pourtant prêt dès 1962 ne sera édité qu'en 2011). En fait, Einaudi sera à l'origine d'une enquête détaillée s'appuyant sur des témoins encore vivants et des archives accessibles, et publiera sur la question une série d'ouvrages édités ou réédités avec mises à jour entre 1991 et 2012. Ses révélations sur la répression terrible menée en France contre les Algériens en rappelant la pratique généralisée de la torture et des éliminations physiques avec sans doute des centaines de cadavres jetés dans la Seine, éveillera tout un mouvement d'opinion dénonçant l'action criminelle des autorités de l'époque et qui réussira à imposer en 2011 la reconnaissance officielle des crimes d'Etat commis en 1961. Le moment fort de ce combat aura été sans doute, en 1999, le procès très médiatisé l'opposant à l'ancien préfet de police de Paris Maurice Papon (tristement connu aussi pour les crimes déjà commis comme préfet Igame à Constantine et durant le régime de Vichy pour ce qui est de la déportation des juifs), et au cours duquel ce dernier fut débouté par la justice laquelle reconnaissant ainsi la validité des affirmations de Einaudi. Papon était en effet bien reconnu comme le principal responsable des assassinats commis sur des Algériens, sans disculper bien entendu les responsables installés au sommet du gouvernement français. Ses centres d'intérêt ne s'arrêtaient cependant pas aux évènements en France puisqu'il continuera ses investigations en Algérie même, traquant le système basé sur la torture, en publiant en 2000 son livre sur la ferme Ameziane. Il consacrera aussi une partie de ses travaux au courage et à l'humanisme de héros à l'époque méconnus en Algérie-même et calomniés par l'extrême droite française et les nostalgiques de la colonisation et de l'OAS, parce que Européens d'origine, ils avaient, en payant souvent de leur vie, choisi le camp des Algériens comme étant celui du droit et de la justice. C'est ainsi que nous lui devons les émouvantes biographies consacrées à Fernand Iveton, Maurice Laban ou Lisette Vincent (Un rêve algérien). On ne s'étendra pas plus ici sur la production d'Einaudi qui aborde aussi d'autres questions touchant à des pays comme la France ou le Viêtnam, et elle aurait pu être plus fournie encore si la maladie ne l'avait frappé et fini par l'emporter. Elle est cependant suffisamment riche au point d'avoir contribué à semer au sein de nouvelles générations l'intérêt pour l'histoire coloniale et le combat mené par les peuples dominés. Il fut un homme à principes, très exigeant vis-à-vis de son travail de recherche et avec un souci de transparence de la mémoire, d'accès aux archives et à la vérité et la justice, qu'il aura défendu jusqu'à sa mort. Je suis de ceux qui ont eu non seulement la chance de lire Jean-Luc Einaudi, mais aussi de le rencontrer et de débattre avec lui à différentes reprises en Algérie (à Oran, Alger, Sétif, Skikda) ou en France. La première fois ce fût certainement en mars 1992 lors de l'important colloque organisé à Paris par la Ligue de l'enseignement, l'Institut du monde arabe et la Sorbonne et ayant pour thématique, Mémoire et enseignement de la Guerre d'Algérie. Les Algériens étaient nombreux à avoir été invités à intervenir lors de cette manifestation qui visait à mettre un terme à l'amnésie encore dominante en France sur la guerre de Libération et la fin de la domination coloniale. La dernière fois que nous nous revîmes, ce fût 20 ans plus tard, en juillet 2012, lorsque nous nous rencontrions à l'occasion de la commémoration du 50e anniversaire de l'indépendance au consulat d'Algérie à Bobigny pour contribuer à un débat auquel participaient aussi, si ma mémoire est bonne, le regretté Mouloud Aounit et Madame Anissa Boumediene. Nous nous étions d'ailleurs revus aussi avec d'autres, quelques mois auparavant, en octobre 2011, à l'occasion de la marche commémorative à Paris de la manifestation du 11 octobre 1961. Il aura été actif jusqu'à ce qu'il fût immobilisé par la maladie foudroyante qui l'a emporté. Motivé par le présent et en scrutant dans le passé, il avait été lui aussi captivé par le rêve algérien. Avec un certain nombre de collègues, nous ne pouvons aujourd'hui que nous recueillir devant sa mémoire en présentant toutes nos condoléances à son épouse, à ses proches et à tous ceux qui l'ont connu et apprécié. Qu'il repose en paix ! H. R. (*) Universitaire Nom Adresse email