Lewziâa se révèle être un rite social séculaire qui se pratique, non seulement pour célébrer un événement mais aussi pour la préservation du tissu social, protéger son homogénéité et éloigner le mauvais sort. Le village d'Ighraïne (commune d'Idjeur, daïra de Bouzeguène, à 60 km à l'est de Tizi Ouzou) a renoué avec une tradition ancestrale qui est "lewziâa" ou "timechret". La joie des retrouvailles avec toutes les familles qui ont quitté le douar, toutes les filles mariées à l'extérieur du village. Ce douar a relancé en fait, en l'espace d'une journée, la solidarité qui caractérisait, dans le passé, tous les villages de la région. Le mot solidarité retrouve son véritable sens : rassembler tout le monde autour d'un même idéal, l'entraide, le soutien, la compassion, le partage, le pardon... Timechret a débuté avec le sacrifice des six taureaux. Les villageois convergeaient alors en groupes vers cet espace verdoyant où des tables avaient été installées et sur lesquelles ont été posées des dégustations de tous genres : café, thé, lait, beignets, gâteaux et limonade. La place se remplit progressivement, les femmes d'un côté et les hommes de l'autre. On entendait, de temps à autre, les mugissements plaintifs des taureaux qui donnaient l'impression de vivre leurs derniers moments. Pour cette cérémonie traditionnelle, le village a mobilisé des moyens colossaux, humains et matériels. Dans une ambiance de fête, de fraternité et de concorde mutuelle, les six bêtes ont été successivement exécutées rapidement par un boucher professionnel. Toutes les bêtes ont été pesées puis dépecées pour former des parts égales et posées sur une bâche. La distribution de la viande est un moment crucial. Sur la base d'une liste de tous les foyers établis par livrets de famille et préalablement préparée pour les besoins de l'événement, chaque foyer aura droit à son quota qui comprendra des morceaux de viande provenant de toutes les parties de la bête (de la meilleure pièce de la cuisse jusqu'aux boyaux). Cette viande servira à la préparation du dîner familial. Par ailleurs, une vente aux enchères a été organisée pour la vente des têtes et des pieds de veaux. Pour cela, les prix sont généralement multipliés par deux ou par trois, suivant l'humeur et la fantaisie des nantis du douar, sachant pertinemment qu'il s'agit de renflouer surtout les caisses de la djemâa. En fait, l'objet d'une telle vente à la criée n'est pas de monter les prix pour prendre possession de cette viande de "bouzelouf", mais plutôt d'aider le village à renflouer sa cagnotte. "Timechret" se révèle être un rite social séculaire qui se pratique, non seulement pour célébrer un événement, comme cela se faisait par le passé (début des labours, approche du Ramadhan ou de l'Aïd, arrivée des pères de famille qui ont émigré depuis fort longtemps pour fêter leur retour...), mais aussi pour permettre la préservation du tissu social, protéger son homogénéité et éloigner le mauvais sort. La cherté de la vie incite également les gens à recourir à la solidarité et à l'union des villageois pour se soustraire aux relents des mauvaises conditions de vie qui caractérisent la société villageoise de nos jours. C. N O Nom Adresse email