Le site tunisien « leaders » a publié, hier jeudi, une longue interview du politologue Mohamed-Chafik Mesbah dans laquelle il a abordé plusieurs sujets concernant l'Algérie, et ses relations avec ses voisins et les puissances. Voici quelques extraits de cet entretien à plusieurs clés. L'Algérie et le « printemps arabe » « Trois considérations expliquent que les pouvoirs publics en Algérie réussissent, encore, à contenir la contestation massive qui pourrait conduire à un renversement de régime. En premier lieu, les réserves financières tirées des hydrocarbures permettent une distribution démagogique de la rente qui calme, temporairement, les impatiences. En deuxième lieu, la communauté occidentale manifeste à l'égard du régime algérien une complaisance qui décourage les attentes démocratiques de la société. En troisième lieu, l'absence d'encadrement politique et syndicale de la société rend inefficaces les diverses tentatives de manifestations et de revendications. Bref, le potentiel de contestation existe bel et bien mais il ne dispose pas des canaux appropriés pour s'exprimer utilement ». Le cercle informel, au lieu du « cabinet noir » Nous assistons déjà à un transfert pernicieux des leviers du pouvoir au sein du régime algérien. Un cercle informel, dit «cercle présidentiel», dont le pivot est M. Saïd Bouteflika, s'est accaparé, à des fins privatives, des prérogatives de puissance publique. Les «baltaguia» de l'économie sur lesquels s'adosse ce groupe informel disposent, désormais, de plus de pouvoir que le Chef d'Etat major de l'ANP ou le chef des services de renseignement. Ce «cercle présidentiel» n'a pas de vrai projet national. Il est mu juste par la volonté de préserver le pouvoir ainsi que d'élargir le champ de la prédation. L'ANP : seule force organisée - « (...) en l'absence de véritables partis politiques ou de syndicats puissants et enracinés, l'armée -services de renseignement compris- continue de représenter la seule force organisée dans le pays. Mais, dans les circonstances présentes, elle est plus un instrument au service du Président Abdelaziz Bouteflika ». - « A priori, l'armée algérienne est vaccinée contre les coups d'Etat. Une initiative venant de la hiérarchie militaire ou d'un échelon donné de l'institution elle-même semble inconcevable. La nouvelle génération d'officiers qui ont en main les leviers de commande au sein de l'armée ne devrait pas être tentée par l'aventure. Néanmoins, si devait survenir un soulèvement populaire, ces mêmes chefs militaires ne tireront, probablement, pas sur les manifestants. Un casus belli s'en suivrait avec la chute du régime. » La feuille de route de Bouteflika : « Il s'agit juste de prolonger le statu quo tout en veillant à se prémunir contre d'éventuelles surprises. » Zeroual et la Transition « Pour passer d'un régime autoritariste à un véritable régime démocratique, il n'existe pas d'autre solution qu'un processus de transition dont les contours sont, à présent, parfaitement identifiés. Le programme de la transition démocratique, c'est la conclusion d'un Pacte national -résultat d'une concertation entre les forces vives de la nation-, c'est l'élection d'une Assemblée constituante, c'est l'adoption d'une nouvelle Constitution et c'est, enfin, l'organisation d'élections législatives et présidentielle transparentes et incontestables. L'armée, naturellement, jouera le rôle de garant du processus de transition dans des conditions à convenir (...)Pour conduire cette transition, il n'est pas nécessaire de faire appel à un « homme providentiel». Il suffit que la personnalité choisie soit acceptée par la population et qu'elle jouisse d'un consensus raisonnable parmi les protagonistes de la vie politique et associative. Il est indispensable que cette personnalité soit dotée d'une autorité morale incontestée sur l'armée et les services de renseignement. Il ne devrait pas susciter la prévention rédhibitoire des puissances étrangères. A ma connaissance, seul le Président Liamine Zeroual réunit ces conditions. C'est tant mieux s'il nourrit une sainte horreur pour les attraits du pouvoir. Cela devrait le conduire à vouloir clore, rapidement, le processus de transition » La mouvance islamiste en Algérie « La perte d'impact est liée au fait que le courant islamiste est, gravement, émietté. Les formations islamistes ne disposent plus, au sein de la «société réelle» -entendez dans les entrailles de la société,- de la même présence ni de la même force de frappe. La jeunesse algérienne qui a connu bien des progressions depuis la «décennie noire» ne partage plus, mécaniquement, le message religieux d'antan. Mais, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il existe un puissant mouvement salafiste qui se nourrit du terreau de l'injustice, du chômage et de la pauvreté. En perspective, le courant islamiste plébéien est loin d'avoir disparu » Les islamistes tunisiens « La direction du courant islamiste en Tunisie, le mouvement Ennahdha pour la citer, est composée de cadres éclairés. Ils ont gagné leur légitimité sous les affres de la torture et de la prison. Ils sont accessibles aux réalités du monde moderne. Ils ont tiré les enseignements utiles de l'expérience de l'ex-FIS en Algérie. Aussi font-ils preuve d'un pragmatisme avéré. Ils pratiqueraient un double langage? Il faut convenir, pour le moment, qu'ils ne font pas obstacle, au prix de concessions substantielles, à la réussite de l'expérience tunisienne de transition démocratique. » L'Algérie et le Sahel : - « Incontestablement, l'Algérie a perdu de sa capacité d'anticipation stratégique. Elle a été surprise par le « Printemps arabe » comme phénomène politique. Mais, plus gravement, elle a été prise au dépourvu par la détérioration de la situation sécuritaire au Sahel comme phénomène géopolitique. C'est à son corps défendant que l'Algérie est contrainte d'affronter le défi de la situation prévalant au Sahel. » - Il ne suffit pas de disposer d'un potentiel militaire imposant pour exercer un rôle de puissance régionale. La politique étrangère d'un pays c'est le domaine du consensus national par excellence et, aussi bien, celui de l'innovation. La politique étrangère de l'Algérie n'est plus le lieu du consensus. La doctrine militaire sur laquelle est sensée s'appuyer ce consensus comporte, désormais, de sérieuses ambigüités. Naturellement, il existe un lien, de cause à effet, entre la qualité de la gouvernance interne et ses projections, à l'extérieur, sur le plan stratégique. L'Algérie et la Tunisie : la « ceinture de sécurité » - « Du strict point de vue de la sécurité nationale, l'Algérie devrait s'impliquer plus intensément pour garantir la stabilité de la Tunisie. La Tunisie c'est, par excellence, une ceinture de sécurité pour l'Algérie » - « La coopération entre l'Algérie et la Tunisie gagnerait à être le socle sur lequel pourrait reposer la construction de l'unité maghrébine». La Libye est un état « virtuel » « L'instabilité que traverse la Libye -qui est d'ordre structurel- est le résultat de la gouvernance du défunt Colonel El Kadhafi. Ayant, délibérément, choisi de s'appuyer sur une gestion, purement, tribale pour asseoir son pouvoir, il ne s'était guère intéressé à la construction d'un Etat libyen moderne. Il n'existe pas de structures étatiques modernes en Libye, ni d'armée nationale, ni de véritables partis politiques. La Libye est un Etat virtuel où prédominent les chefferies tribales avec, en sus désormais, les mouvements islamistes radicaux » L'unité maghrébine et les « nationalismes étroits » « Malheureusement, nonobstant les obstacles objectifs multiples à ce projet -pas seulement le conflit du Sahara Occidental- l‘idéal ne semble plus habiter le cœur des élites maghrébines et encore moins celui des dirigeants actuels des pays du Maghreb. Le contexte stratégique actuel, hélas, risque de conduire, plutôt, à une crispation plus marquée des nationalismes étroits » L'Algérie et la France : lobbies et « hiérarchies » « Aujourd'hui l'Algérie est considérée comme un marché captif par les lobbies d'affaires français et un auxiliaire par les hiérarchies militaires dans l'hexagone. La politique algérienne de la France, précisément, est fixée par ces lobbies d'affaires et ces hiérarchies avec le résultat que tout un chacun peut observer ». L'Algérie et les Etats-Unis : L'initiative stratégique « Il serait puéril de contester le principe d'un partenariat stratégique avec la première puissance mondiale. Un partenariat stratégique avec les Etats-Unis d'Amérique, n'est ni un mal absolu ni un bien absolu. La précaution qui s'impose est de veiller à ce que les intérêts supérieurs de l'Algérie prévalent, systématiquement, dans les choix effectués et que, par principe, l'initiative stratégique ne puisse, jamais, échapper à la souveraineté nationale» L'Algérie et la Russie : la guerre froide n'est pas « révolue » « Prééminente au sein de l'armée algérienne, en termes d'équipements et de formation, la Russie veut consolider, en effet, sa position en Algérie et de devenir un allié stratégique au sens où elle l'est déjà pour la Syrie. La volonté du Président Vladimir Poutine de restaurer le statut de grandeur de la «Russie éternelle» n'est pas absent de cette démarche. Il faut se garder, cependant, de l'illusion que la période de la guerre froide n'est pas, irrémédiablement, révolue ». L'Algérie et la Chine : le « Soft power » « Il serait stupide, en effet, d'imaginer que la politique étrangère de la Chine ne soit pas mue, au moins autant que celle de la Russie, par une inspiration stratégique. Deux objectifs majeurs guident cette politique étrangère de la Chine, la recherche de sources d'approvisionnement sures et une implantation économique durable dans les pays d'accueil avec même l'installation de véritables communautés chinoises ». Rédaction WEB/LIBERTE . Nom Adresse email