Les pays occidentaux ont prévenu l'opposition syrienne que les pourparlers de paix prévus en janvier en Suisse pourraient ne pas conduire à la mise à l'écart de Bachar al Assad en raison d'un risque islamiste en Syrie, a-t-on appris auprès de responsables de la Coalition nationale syrienne (CNS). Inquiètes de l'influence croissante des islamistes radicaux, en particulier de ceux affiliés à Al Qaïda, au sein de la rébellion, les chancelleries occidentales ont en outre averti que la minorité alaouite dont est issu le président syrien conserverait un rôle de premier plan dans un éventuel pouvoir de transition, ceci en raison du contrôle qu'elle exerce sur l'appareil de sécurité. Ce message a été transmis à des dirigeants de la CNS la semaine dernière à Londres lors d'une réunion des Amis de la Syrie, instance informelle regroupant des pays occidentaux et arabes, ainsi que la Turquie, hostiles à Bachar al Assad. "Nos amis occidentaux ont clairement dit à Londres qu'on ne pouvait pas laisser Assad partir maintenant parce qu'ils pensent que cela déboucherait sur du chaos et une prise de contrôle par les activistes islamistes", a dit un membre éminent de la CNS, proche de responsables saoudiens. Evoquant la possibilité que Bachar al Assad organise une élection présidentielle à l'expiration officielle de son mandat en 2014, ce même dirigeant de la CNS a ajouté: "Certains ne semblent même pas se soucier du fait qu'il puisse se représenter l'année prochaine, en oubliant qu'il a gazé son propre peuple." Cette évolution traduit un changement de priorités des pays occidentaux, en particulier des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, aux yeux desquels la lutte contre l'expansion de l'islamisme radical au Proche-Orient l'emporte désormais sur la volonté d'un changement de régime à Damas. Ce basculement suscite des tensions entre les différentes puissances soutenant la révolte contre Bachar al Assad, affirment des diplomates et des représentants de la CNS. Il pourrait cependant permettre un rapprochement avec la Russie, qui s'est constamment opposée au Conseil de sécurité de l'Onu à toutes les tentatives diplomatiques de mise à l'écart de Bachar al Assad. MECONTENTEMENT SAOUDIEN ET TURC Le soulèvement en Syrie a débuté en mars 2011 par des manifestations contre le régime de la famille Assad, au pouvoir depuis 1970. La répression de cette contestation a amené des opposants, essentiellement sunnites, à prendre les armes et le pays a progressivement sombré dans une guerre civile. Les pays occidentaux ont exclu d'intervenir militairement, laissant ainsi la voie libre sur le terrain à des combattants islamistes ayant pris l'ascendant au sein de la rébellion sur l'Armée syrienne libre (ASL), le bras armé de la CNS. Pour l'Arabie saoudite et la Turquie cependant, l'endiguement de ces combattants islamistes n'est pas une priorité en ce qui concerne la Syrie. L'Arabie saoudite, puissance sunnite, est en particulier furieuse de la latitude d'action laissée à Bachar al Assad par les Etats-Unis, qui ont renoncé en septembre à une intervention militaire après avoir pourtant accusé le régime syrien d'un bombardement à l'arme chimique. Elle s'offusque aussi du rapprochement entre Washington et l'Iran, son rival chiite et soutien de Bachar al Assad. Ryad n'a envoyé qu'un diplomate de second rang à la réunion des Amis de la Syrie à Londres. Autre signe d'une divergence d'approche avec Washington, des opposants en Syrie affirment que la Turquie a laissé une cargaison d'armes franchir la frontière pour parvenir au Front islamique, une coalition de groupes rebelles s'étant récemment emparés d'entrepôts de l'ASL contenant des armes et des équipements occidentaux. La CNS a accepté de participer à la prochaine conférence prévue à partir du 22 janvier en Suisse, tout en exigeant le départ immédiat de Bachar al Assad. Un diplomate du Proche-Orient suggère toutefois à l'opposition syrienne d'adopter une approche "plus créative", par exemple en acceptant de participer à un gouvernement de transition laissant des alaouites aux postes-clés. "Pour que Genève débouche sur un arrangement acceptable par les Etats-Unis et la Russie, l'opposition aurait à accepter de participer à une administration de transition dotée d'une forte présence alaouite", dit ce diplomate. "Assad pourrait rester ou pas président mais au moins aura-t-il des prérogatives réduites. "Si l'opposition rejette un tel accord, elle perdra la plupart des pays occidentaux et n'aura plus que l'Arabie saoudite, la Libye et la Turquie à ses côtés." COLLABORATION RUSSO-AMERICAINE D'après un membre de l'opposition syrienne en contact avec des responsables américains, les Etats-Unis et la Russie semblent travailler de concert à la définition d'un cadre pour la période de transition. Ce plan permettrait aux alaouites de conserver leur prééminence au sein de l'armée et de l'appareil de sécurité, ce qui les préserverait d'éventuelles représailles et favoriserait la création d'un front uni contre Al Qaïda avec l'intégration de brigades rebelles modérées au sein d'une armée réformée. "Même si Assad est mis de côté et qu'un sunnite est placé à la tête d'une autorité de transition, ce dernier n'aura aucun pouvoir car ni Washington ni Moscou ne semblent vouloir la fin du contrôle alaouite sur l'armée et l'appareil de sécurité", dit cet opposant. Selon un responsable occidental, les Etats-Unis et la Russie ont commencé à examiner ensemble quels responsables syriens, et jusqu'à quel niveau de responsabilité, pourraient être conservés dans une phase de transition. Ancien officier des services de renseignement syriens, Afak Ahmad a rompu avec le régime en 2011 et il est désormais en contact avec des interlocuteurs américains et russes. Selon lui, Moscou exige la présence d'un alaouite à la tête de l'armée quelle que soit la forme que prendra la transition. "La Russie ne s'accroche pas à Assad mais la ligne rouge pour Moscou, c'est la préservation de l'armée syrienne", dit-il. "Elle juge que, avec une expérience de 50 ans au sein de l'armée et de l'appareil de sécurité, les alaouites sont les mieux placés pour combattre les activistes islamistes." "La solution politique doit être progressive et impliquer une direction collégiale", poursuit-il. "Si les alaouites ont la garantie qu'il n'y aura pas de représailles contre leurs vies et leurs biens, ils accepteront qu'Assad et le premier cercle de ses collaborateurs s'en aillent."