La mémoire était au centre des deux films projetés avant-hier à la salle El-Mouggar, dans le cadre de la compétition de la 2e édition de ce rendez-vous cinématographique. Dans la fiction marocaine, il est question d'une mémoire confisquée, celle d'un amnésique à qui on invente une nouvelle vie ; dans le long métrage tunisien, il est plutôt question d'une légende urbaine, sur laquelle la réalisatrice revient dix années après. C'est par un thriller que s'est ouverte la compétition longs métrages de la 2e édition du Festival d'Alger du cinéma maghrébin, avec la projection, avant-hier en début de soirée, du long métrage Formatage du réalisateur marocain Mourad El-Khaoudi (également scénariste du film). Formatage, riche en suspense et en rebondissements, relate l'histoire de Rihana (Fatima Zahra Bennacer), qui se rend dans un endroit désert où se trouve une zaouïa qui pratique "el-kheloua" (l'isolement) pour récupérer son mari, Ramzi (Fahd Benchemsi), souffrant d'amnésie, et qui devait être soigné dans cet endroit coupé du monde. Rihana ramène donc Ramzi "à la lumière" et tente de reprendre avec lui une vie normale, avec leur petite fille. Mais Ramzi ne supporte pas ce retour à la réalité ; il s'enferme dans son monde. Encouragé par un mystérieux personnage (incarné par Younès Bouab), qui pousse Ramzi dans ses retranchements. Celui-ci fait croire au principal protagoniste du film qu'il est un agent des renseignements qui enquête sur Rihana, à la tête d'un réseau d'arnaqueuses. Rihana serait l'épouse d'un riche Emirati qu'elle souhaiterait éliminer pour hériter de sa fortune mais sans se salir les mains, et c'est pour cela qu'elle a besoin de Ramzi, qui serait son âme damnée. Poussé vers les limites de la folie, Ramzi finit par céder aux pressions et par commettre l'irréparable. Une enquête policière vient agrémenter la dernière partie du film, où beaucoup de mystères seront levés. Ramzi finira-t-il par découvrir qui il est ? Le "qui suis-je" prend différents sens, et on ne connaîtra les vérités de chacun des trois protagonistes qu'à la fin de ce long métrage qui traite, d'une certaine manière, de la mémoire mais aussi de l'identité, par le truchement de l'amnésie. L'autre intérêt de cette fiction se trouve dans l'intégration et l'utilisation de la culture populaire à des fins cinématographiques. Le réalisateur explore également le culte des saints ou encore la pratique de la transe, mais également les codes des polars et des thrillers, et raconte au présent aussi bien le passé que son impact sur le présent. Le deuxième film proposé lors de cette première journée de projection était Challat de Tunis, de la Tunisienne Kaouther Ben Hania. Ce docufiction déterre une légende urbaine qui date de 2003, celle du "challat" (fouetteur), "personnage violent, qui balafre, fouette des femmes dans des espaces publics (...) Cet homme mystérieux aurait agressé plusieurs femmes tunisiennes de sa lame de barbier, habillées, selon lui, trop à l'occidentale". Kaouther Ben Hania, derrière et parfois devant la caméra, part sur les traces du "challat", dans un contexte d'après la chute du président Ben Ali. La parole libérée permet de constater que ce sinistre personnage, qui en a inspiré d'autres dans le monde arabe, partage la rue tunisienne. Au-delà du fait divers, c'est la femme, qui n'est pas libre de son corps selon certains discours (notamment dans le film), qui est au centre de cette œuvre, qui voyage dans la mémoire d'une société et qui utilise parfois l'humour pour dire de douloureuses réalités. S. K. Nom Adresse email